La France, les femmes et le pouvoir

Une recherche en histoire politique, présentée par Eliane Viennot


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La France, les femmes et le pouvoir. L'invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle). Paris, Perrin, 2006

Conclusion Partie 3
La naissance de l'Etat moderne et l'éviction de Jeanne de France (XIIIe-XIVe siècle)


Le bilan des XIIIe et XIVe siècles s’avère donc particulièrement lourd pour le sujet qui nous intéresse. La France a changé de visage. Sous l’action des prédicateurs-confesseurs, elle a vu disparaître les Hildebrant, les Ermengarde, les Lothaire et les Garsinde qui la peuplaient depuis des siècles, au profit des Pierre, des Marguerite, des Jean et des Jeanne… Ce qui restait visible de l’héritage des Francs s’est effacé derrière une christianisation bien souvent synonyme de néoromanisation et de renforcement du patriarcat: les Français porteront désormais un prénom et un nom – celui de leur père. Dans les villes qui grossissent à vue d’œil, des troupes d’hommes savantes et gavées de misogynie rappellent sur tous les tons la nécessité de faire régner l’ordre masculin, et montrent à qui veut les suivre comment il faut s’y prendre… des troupes qui investissent, petit à petit, tous les rouages de la vie politique. À la fois moteur et produit de cette évolution, l’État moderne est né. Il n’y a plus, autour du roi, un petit groupe d’évêques et de barons un peu interchangeables, comme cela avait été le cas si longtemps, mais une véritable administration avec ses corps, ses règles, son personnel, son ancrage provincial, ses liens solides avec le monde des écoles, ses unions de plus en plus fréquentes avec la grande bourgeoisie et les pouvoirs locaux… Une caste dont la puissance croît jour après jour, qui est en passe de se libérer de la tutelle de l’Église, mais qui entend bien conserver les privilèges de sexe qui caractérisaient les «métiers de la clergie». Enfin, conséquence logique de ces diverses mutations, l’éventualité de l’accession d’une femme au trône de France en vertu d’une absence de garçon dans la famille royale s’est vue repoussée par trois usurpations successives, qui, allant dans le même sens, ont fini par dessiner un nouveau système de dévolution de la couronne.

Ce système est certes bien mal assuré. D’abord, il est fort insolite en tant que tel, avec son mélange de transmission héréditaire et d’exclusion d’un certain type d’héritiers (la Couronne impériale excluait les filles, mais elle était élective depuis des lustres). Par ailleurs, les tentatives effectuées pour lui trouver une légitimité n’ayant pas abouti, il n’a toujours ni nom ni fondement historique autre que trois coups d’État de fraîche date. Enfin, il n’existe nulle part ailleurs qu’au royaume des lis, ce qui le rend d’autant plus bizarre. Il n’empêche que ni les contestations, ni les oppositions, ni même les guerres ne sont parvenues à remettre en selle les héritiers directs d’Hugues Capet; et que les Valois tiennent bon, comme s’ils étaient soutenus par la coutume dont se réclament leurs partisans.

La France est donc entrée dans l’ère de l’exception. Du moins le savons-nous, nous qui connaissons la suite de l’histoire. Mais tel n’est peut-être pas le sentiment général à la fin de cette période. Le règne de Charles V se termine sur une restauration de la puissance monarchique, sur la récupération presque complète du territoire national, sur des espoirs de paix avec l’Angleterre, sur le retour à la stabilité monétaire, à la croissance économique, aux fastes de la vie de cour… Une frange de la clergie est en train d’accéder à la noblesse, donc de changer d’optique; la vieille aristocratie a renforcé ses positions, les universités sont entrées dans l’obéissance, et les rois de France semblent vouloir maintenir, d’une manière ou d’une autre, la puissance des femmes de leur caste. Si une telle évolution a de quoi inquiéter les partisans les plus farouches de la domination masculine, pour les plus optimistes, les moments les plus durs de l’offensive misogyne peuvent paraître passés.


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