La France, les femmes et le pouvoir

Une recherche en histoire politique, présentée par Eliane Viennot


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La France, les femmes et le pouvoir. L'invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle). Paris, Perrin, 2006

Introduction Partie 3
La naissance de l'Etat moderne et l'éviction de Jeanne de France (XIIIe-XIVe siècle)


Contrairement aux précédentes, cette période ne commence pas dans le chaos et la violence, sous la pression d’événements et d’agents extérieurs. Elle paraît même un temps mue par les seules dynamiques mises en place au cours des XIe et XIIe siècles. Des mutations profondes travaillent cependant la société française, avec des accélérations et des à-coups qui mettent en péril l’équilibre d’ensemble, avant de replonger le pays dans un chaos venu cette fois de l’intérieur, mais qui n’est pas moins fait de guerre étrangère et de violence généralisée.

Au titre des continuités bénéfiques, les historiens mettent en avant la progression quasi constante du pouvoir royal, qui se marque aussi bien par l’agrandissement du domaine que par un contrôle administratif plus étendu sur l’ensemble du royaume. L’Église romaine poursuit également sa progression, d’une part auprès de la population, par un encadrement de plus en plus dense des fidèles, d’autre part au sommet de l’État, où la bonne entente retrouvée avec la monarchie française se traduit longtemps par une coopération étroite. Enfin, la conjoncture économique autorise la poursuite du développement du pays, les défrichements de zones nouvelles, la multiplication des échanges et du commerce. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’un des changements structurels les plus notables, mais aussi l’un des plus importants facteurs de désagrégation de l’ancienne société: le développement rapide des villes, moteur d’une inversion progressive des pôles qui caractérisaient les sociétés de l’ouest européen depuis des siècles. Lieux de dissolution des liens traditionnels, lieux d’innovation technologique et institutionnelle, les villes sont aussi des lieux privilégiés pour la constitution des nouvelles élites, d’autant que ce sont dans leurs enceintes que naissent les universités, cette «fonction nouvelle à l’intérieur de la Chrétienté: le Studium, troisième puissance à côté du Sacerdotium et du Regnum».

Produits complexes de l’alliance de l’Église, des villes et des États, les universités sont destinées à répondre aux besoins de plus en plus grands en administrateurs qualifiés de ces organismes en plein développement. Difficilement contrôlables, elles s’avèrent vite de véritables «machines à produire les hommes nouveaux», pour paraphraser une expression de Guy Béchtel. Imbus de leur science, de leur importance, de leur spécificité, ces hommes nouveaux – les clercs – envahissent peu à peu tous les rouages de la vie publique, y imprimant leurs modes de raisonnement, leurs manières d’agir, leurs idéaux. Or ces hommes sont foncièrement misogynes, par formation autant que par intérêt. En première ligne dans la diffusion et le recyclage des littératures et des philosophies antiféministes de l’Antiquité, via traités et ouvrages de fiction qui disloquent l’idéal courtois, ils sont également des plus actifs dans la réorganisation concrète de la société européenne, qu’il s’agisse de la réintroduction du droit romain, de l’éviction des femmes de la médecine ou de la mise en place de monopoles masculins dans l’enseignement supérieur et les professions de ce qu’on appellera un jour la «fonction publique». Malgré les résistances qui, un peu partout, s’expriment contre leur arrogance et leur irrésistible ascension, les situations des femmes connaissent dès la fin du XIIIe siècle une certaine dégradation.

Celle qu’on enregistre au coeur de la famille royale au début du siècle suivant, due à leur influence dans l’entourage de Philippe le Bel, est brutale: pour la première fois depuis l’époque mérovingienne – mais pour des raisons bien différentes – ressurgissent les meurtres de reines. Aussi, lorsque le premier fils du roi meurt en laissant au monde une enfant de six ans, le second croit-il possible de s’asseoir sur le trône à la place de sa nièce; non pas au nom d’une antique loi – puisqu’elle n’existe pas – mais parce que l’occasion, simplement, est trop belle. Le doigt une fois dans l’engrenage, c’est ensuite tout le bras qui y passe. Trois coups d’État en douze ans bouleversent les règles successorales en usage dans l’aristocratie princière européenne, faisant naître des sentiments explosifs aussi bien parmi les évincé-e-s et leurs enfants que chez leurs plus proches parents, tous coiffés au poteau par le premier Valois, qui n’est pourtant qu’un cousin. Aussi l’explosion ne se fait-elle pas attendre. Une guerre à la fois civile et étrangère – la première phase de ce qu’on appellera la guerre de Cent ans – mène en quelques années la France au bord du gouffre. Les nouveaux occupants du trône peinant à démontrer leur bon droit sur la couronne, c’est durant cette longue série d’épreuves que mûrit l’idée de trouver une preuve de leur légitimité. Et c’est avec cet oeil qu’on commence à scruter le vieux code des Francs Saliens, opportunément retrouvé bien longtemps après le déclenchement des hostilités.


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