MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami/es de Marguerite

Jean Alary

Le Premier recueil des recreations poetiques de J. d’A., advocat en Parlement [de Toulouse]. A la Royne Marguerite. Paris, Pierre Ramier, 1604 et 1605.

À LA REINE MARGUERITE.

MADAME,
On dit que le sculpteur Phidias, ayant un jour du commandement des Athéniens engagé plus l’esprit que la main en la perfection de l’effigie de Minerve, l’ébaucha si grossièrement, à mesure que la hauteur de la colonne où elle était destinée la devait après raccourcir, à la vue que les traits rudes et difformes pensèrent être ceux de la mort, et fut payé de mépris et calomnies. Mais après qu’il eut élevé ce sacré simulacre sur la grande et haute colonne, les linéaments grossiers qui semblaient mieux représenter la rudesse de son esprit que la naïveté du portrait, venant à se diminuer et réduire au point de la perfection, apparurent si doux et délicats que la feinte laideur de l’image se changea parfaitement en la vraie et vive figure de la beauté. Ainsi, MADAME, pour participer à la joie universelle à laquelle votre heureux retour invite aujourd’hui toute la France, ayant entrepris de tracer de la plume quelques menus traits des superbes divinités qui reluisent en la splendeur de votre Majesté (comme de la docte et sage Minerve qui naquit du cerveau de ce grand Jupiter des Français, armée de vertus et grâces célestes), pour cacher la faiblesse de mon esprit en l’assurance de votre appui, je me suis industrieusement avisé de lui en faire un humble présent, et m’aider de sa gracieuse et douce faveur, comme de la plus haute et ferme colonne d’honneur et de vertu qui soit au monde, où s’appuient ordinairement les Muses lassées de leur glorieux et honorable travail, afin que la grandeur de ses admirables perfections déguise l’imperfection de l’ouvrage, sa douceur la rudesse, que sa beauté lui serve d’ornement, sa grâce d’attrait, sa vertu de dorure, son ombre de jour, et que les ailes de la gloire (qui à l’exemple du vol de l’Aigle surpassent la nue de l’entendement humain et s’élèvent jusqu’au ciel de l’admiration) le portent si haut, que l’œil de la médisance le perde de vue, et [que] l’ennui, n’y pouvant atteindre, se dégoûte de l’envie de médire. Et comme la trompette d’Achille, Homère ne feignit point de donner carrière et mettre sur les rangs de son livre le premier de ses vers défectueux en mesure, ainsi j’ai voulu commencer par la rudesse des miens, espérant que vous (l’unique fleur des Sciences du monde) leur fournissiez assez de miel de vos royales faveurs pour adoucir leur aigreur, [ces  vers] ayant été conçus plus du trouble et agitation d’un fâcheux procès qui me détient en la ville de Paris, qu’animés des divines fureurs et inspirations d’Apollon. Aussi vous ai-je bâti ce petit temple d’Honneur, que je consacre à la gloire de votre nom, de la même main que je travaille à mes affaires, à l’exemple du peuple Israélien qui tenait l’épée en une main et la truelle en l’autre, quand ils bâtirent le leur; ou du Roi Micernice, qui déçut la voix de l’oracle et surmonta la rigueur de son destin en faisant de la nuit le jour. À quoi j’ai été d’autant plus excité par les justes persuasions de mon devoir, en reconnaissance de la singulière affection que [votre mère], cette belle et claire aurore qui vous conçut comme une perle et enfanta comme un soleil, et [ensuite] le feu Roi d’heureuse mémoire Henri troisième votre frère, de qui le divin esprit était plus digne de la troisième couronne du ciel que des deux sceptres de la terre, apportait à feu mon père, son féal conseiller au grand Conseil, ayant éprouvé l’or de la fidélité en l’ardeur de son service aux plus importantes affaires du royaume, desquelles il honora ses désirs, et l’eût été davantage, si la mort ne l’eût cueilli en la fleur, et [qu’il] ne fût disparu, comme un soudain éclair, un peu avant le tonnerre des grands orages et troubles de la France. Après laquelle [mort], décochant les traits de son amour sur les tendres rejetons de l’arbre, il fit pleuvoir sur ses enfants la douce manne de ses dons et Royales libéralités, pour leur faire sucer ce doux lait des mamelles de la Science et cultiver le glorieux champ des Muses, du jardin desquelles je vous présente justement aujourd’hui les premiers fruits que la hâte m’a fait cueillir en leur verdeur, pour les faire mûrir au ciel et aux rayons de votre bel esprit. Et comme l’Empereur Tibère avait accoutumé de ceindre et environner sa tête d’une couronne de Laurier toutes les fois qu’il entendait le bruit et l’éclat du tonnerre menacer de grêle, de tempête et d’orage la terre, et reposer à la fraîcheur de son ombre la crainte qu’il avait de l’ardeur et violence du foudre, ainsi je me suis voulu couvrir et honorer des sacrés et divins lauriers de votre gloire, faire bouclier de leur verdure, rempart de leur immortalité, et un asile de leur ombrage, pour n’être comme un autre Salmonée foudroyé du rouge éclair de ma honte, en voulant contrefaire et représenter le foudre inévitable de la divinités de vos merveilles. Mais non, MADAME, votre grandeur me fait assez reconnaître l’impuissance de mes forces. Aussi, de même que le bois du lierre, étant frotté avec celui du laurier, en fait sortir et rejaillir de vives flammes, le bas lierre de mon esprit, rampant sur les lauriers triomphants de vos honneurs, ne tâche que d’enflammer et embraser les plus beaux esprits de notre temps en l’ardeur de vos louanges, ou plutôt les y attirer par les délicieuses douceurs de vos parfaites grâces et immortelles vertus, plus infinies que bornées et plus divines qu’humaines, desquelles on ne peut parler que par la voix de l’admiration. Aussi la moindre de vos rares perfections est ce seul point que demandait le Géométrien Archimède, où il pût poser les instruments de Mathématique pour enlever tout le monde. Car vous êtes ce Phoenix unique, la merveille de l’univers, qui, dressant un bûcher odorant des traits de l’amour divin qui vous transpercent le cœur, parsemé[e] des fumeux encens de la charité, brûlée des saintes flammes d’une ardente piété, sacrifiez ordinairement votre esprit à ce divin soleil des belles âmes, pour revivre un jour glorieusement en l’immortelle vie, préférant aux lys fleurissants de la France les lys sacrés et divins de l’Éternité.
Vous êtes cette belle fleur et MARGUERITE céleste des jardins d’Égypte [sus]pendus en l’air, qui remplissez la terre et le ciel des suaves odeurs de votre vertu. La divinité de laquelle semblait jadis présager l’image du divin Apollon, quand il fut peint anciennement avec une fleur en main, et [dans] ces vieux et antiques portraits des Muses qu’on voit encore en la ville de Rome, désenterrés du tombeau de l’Antiquité, avec une plume plantée au sommet de la tête, ne semblent avoir été faits qu’afin d’exciter les plus rares esprits à mettre la main à la plume pour graver au temple de mémoire l’immortalité de vos louanges, et montrer que vous êtes la seule guide du chemin qui nous reste encore pour parvenir au sommet de leur Parnasse et de la montagne de Vertu. Les Éphores, qui étaient comme contrôleurs de tout l’État de Lacédémone, reprirent le musicien Phrinis de ce qu’il avait ajouté de nouveau deux cordes à la Lyre, mais les merveilles qui sont en vous croissent si grand nombre qu’il faudrait y ajouter une infinité de cordes en la lyre d’Apollon pour vous louer, ou imiter la moindre harmonie de vos divines perfections. Car votre douce grâce est ce riche tissu de Vénus, composé de mignards et délicieux attraits pour ravir insensiblement et les âmes et les cœurs, [et] votre grave et sage discours, cet or précieux que l’oracle d’Apollon, consulté des Lydiens, leur conseilla de prendre aux oreilles pour le parer des ornements de la vertu. Vous êtes cette vraie Pandore, décorée de tous les dons et présents célestes, qui comblez la France d’autant de bonheur qu’elle sema de malheurs au monde. Aussi le Ciel a rapporté en vous tous les plus beaux traits de son idée pour en faire une seconde Vénus de Praxitelle, et le seul patron de la perfection.
Je me perdrais, MADAME, du vol audacieux de ma plume, comme un légère fumée dans le ciel de votre gloire, si votre heureux retour, aussi fortuné que longuement attendu, ne me faisait retourner à moi (avant lequel [retour] la triste France était plus ensevelie en obscurité des ténèbres, que ceux qui sont enfermés dans les noires prisons des deux Pôles et ne voient point les rayons du soleil de six mois). Mais, de même que la première pointe du jour, qui commence à reluire dessus leur horizon et effacer de son agréable clarté les noires ténèbres de leurs yeux, les éblouit d’un aile [?] incroyable, ainsi la France, votre glorieuse patrie, qui a, non pas six mois, mais plusieurs longues années (qu’elle compte pour siècles [de] malheurs), heurté comme aveugle contre les durs rochers des plus pénibles douleurs, aujourd’hui qu’elle est ardemment éclairée des rayons de votre face, elle brûle de contentement, s’embrase de votre amour et fait un feu de joie dans son cœur de la douce lumière de vos beaux yeux. Et comme on dit que le truchement [l’interprête] des secrets de la nature, Esculape, fit retourner de mort à vie, par la vertu d’une fleur, le fils de Minos, Roi de Crête, ainsi vous, belle et divine MARGUERITE, la rare et amoureuse fleur des Lys et Jardin de la France, la faites renaître aujourd’hui: arrachez ses épines de l’âme, la recréez du parfum de bonheur ou pour mieux dire, rendez la France à la France même, la faisant pareille à ces animaux dont parle Pline, qui ne vivent que du seul flair des plus hautes odeurs, ou à l’abeille qui tire et confit la manne céleste de son miel de premier attrayante douceur. Car vous êtes comme une chaste Minerve, la seule tutrice des doctes [d’]Athènes, l’olive de la paix, le rempart de ses défenses, et le divin Palladium descendu du Ciel pour la conserver et rendre imprenable, qui, comme ce céleste simulacre, êtes aussi dévotement gardée par les vierges Vestales.
Jadis le roi des Perses, Cyrus, ne voulut point que les sujets qui avaient l’âme trempée dans le sang de la cruauté et ne respiraient point que l’ardeur des armes changeassent de contrée et de pays, et qu’au lieu du leur qui était âpre, raboteux et bossu, ils en prissent un autre plus doux et plein, disant que les semences des plantes et les mœurs des hommes deviennent à la fin semblables aux lieux et régions où ils demeurent. Mais vous, au contraire, avez sagement délaissé la rude et âpre montagne d’Usson et choisi le délicieux séjour de votre agréable Boulogne, comme plus propre et convenable à la naturelle douceur et délicatesse de vos humeurs, voire même cette grande et haute montagne semblait encore trop basse et petite pour la grandeur de votre Majesté, qui ne peut être mesurée que de l’étendue su ciel et des bornes de la terre. Aussi vous étiez si haut montée au souverain degré de la gloire, ayant atteint jusqu’au sommet de la perfection, que vous avez été contrainte de quitter cette montagne, comme ne pouvant plus aller qu’en descendant, montagne où vous étiez au milieu du ciel et de la terre, ainsi que le Soleil au milieu des astres pour éclairer tout l’univers. Et comme une autre claire fontaine, vous êtes sortie de ce rocher pointu, pour venir arroser et faire croître le fleurissant lys que la gloire de nos Rois à produit et fait épanouir en la France, qui en la chaude saison de votre arrivée vous attendait, atterrée de vos divines grâces, comme la terre béante [attend] la pluie, et les fleurs brûlées du soleil la douce rosée, aux plus ardentes chaleurs de l’été. Ou plutôt, vous êtes venue comme la mer des merveilles du monde (seule digne de laver, porter au ciel, et faire un jour un autre signe céleste de notre glorieux Dauphin), pour embrasser, comme la mer la terre, ce petit monde de merveille. Vous soyez donc bien venue, grande REINE, seul délice de la France, la perle des plus beaux esprits et le miracle du monde, que le ciel nous envoie comme une autre Iris céleste, fille de l’admiration, ornée des diverses couleurs et livrées de la vertu, en signe de l’éternelle alliance qu’il fait aujourd’hui avec la France, après le déluge de tant de malheurs. Je vous prie recevoir ce petit œuvre français avec autant de contentement que la France vous a reçue et, comme elle vous a ouvert son cœur pour vous recueillir, que vous lui ouvriez la favorable clarté de vos yeux pour le voir, ou plutôt recevez la France qui se réjouit et vous témoigne de sa propre langue, par mes écrits, le grand aise qu’elle a conçu dans son âme de votre désiré retour, avec le même visage et douceur qu’elle vous a reçue. Et comme on avait jadis accoutumé d’implorer l’aide de la secourable Lucine au travail des enfantements, ainsi je vous invoque, chaste et propice Lucine des Muses de la France, à la naissance de ce petit avorton, plutôt enclos que formé, que j’ai conçu de la froideur de mon cerveau, pour m’accoucher de l’ignorance. Couvrez-moi du dictame de vos bonnes grâces et de votre gracieuse bonté, afin que l’agréable douleur de l’enfantement en soit plus douce. Récréez ces Récréations poétiques de la divine lumière de vos yeux, pour chasser l’obscurité de leurs ténèbres et leur faire voir le seul jour qu’elles ont tant désiré. Caressez-les d’un œil favorable, jusqu’à tant que les frères et enfants légitimes les vous fassent méconnaître pour miennes. Je vous prie pour ce petit avorton des Muses, qui a voulu quitter leur mont de Parnasse comme vous celui d’Usson, pour venir baiser humblement les mains de votre Majesté de leur part et de la fidèle obéissance, en reconnaissance de vos mérites, ou plutôt pour un enfant qui, comme la vipère me fait mourir de honte à la naissance et revivre de la seule gloire qu’il est né pour vous témoigner d’autant plus que je suis,
MADAME, 
Votre très humble très obéissant et très affectionné serviteur.
J. ALARY.

Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions; quelques alinéas créés dans les textes longs).

mis en ligne le 16.1.2012


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