MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami/es de Marguerite

François de Foix, comte de Candale

Le Pimandre de Mercure Trismégiste Traduit de l’exemplaire grec avec collation de très amples commentaires, par François, Monsieur de Foix, de la famille de Candalle. A la Reyne de Navarre. Bordeaux, Simon Millanges, 1579.

À très haute, très illustre et très puissante Princesse, Marguerite de France, Reine de Navarre, fille et sœur des Rois très chrétiens.

Il est notoire à toute personne, Madame, que la différence de l’homme à toute créature, et son excellence par laquelle il la surmonte, c’est l’entendement ou pensée rendant l’âme raisonnable. Et néanmoins, bien qu’il [que cela] soit aperçu d’un chacun, [cela] n’est estimé de toutes gens être digne sujet qu’il est, ni à la vérité connu en sa nature et condition, mais seulement de ceux qui se sont efforcés d’élever et employer leur pensée vers les choses divines, incorporelles et immortelles, l’éloignant à leur possible des choses corporelles sujettes à mutation et pourriture, enfin, mortelles, par lesquelles il [l’homme] est totalement empêché à connaître, voir et seulement considérer les [choses] excellentes incorporelles, immortelles et divines. Toutefois, à cause que l’homme, ayant du commencement été composé en son âme de double nature (à savoir d’une partie incorporelle et immortelle, laquelle saint Paul appelle l’homme intérieur ou sa pensée, désirant et servant la loi de Dieu, et d’une partie corporelle et mortelle, faite de matière élémentaire, laquelle saint Paul nomme la chair servant à la loi de péché), ce néanmoins, de quelle perfection de vertus que Dieu l’eût pourvu, soi voyant tant honoré, [il] ne la connut; mais s’est plus délecté au fruit corporel et matériel qu’il n’a [fait] au fruit de la raison et pensée, et s’est plus arrêté au plaisir qu’il recevait des choses corporelles, matérielles et mortelles, par le moyen de ses sens, qu’il n’a fait au plaisir des choses incorporelles et divines, par le moyen de la raison et de la pensée. Et se trouvant l’homme tempéré ou assaisonné de cette condition et nature que nous nommons de péché, par laquelle il a délaissé Dieu pour soi retirer à la corruption et matière, il a quitté son principal état, qui est l’excellent usage de la contemplation, par la raison et pensée, dédiée en lui ès choses divines, pour vaquer à l’usage des concupiscences, dédiées à l’abus produit par les choses corporelles et matérielles. Icelui, étant ainsi disposé, a produit tout l’humain lignage semblable à soi, par la loi universelle prononcée par le Seigneur verbe de Dieu: que toute créature produisît son semblable. Dont [d’où] s’est ensuivi que tout homme généralement s’est trouvé tellement participant de ce premier défaut, qu’il rapporte de sa naissance (à la semblance de son premier père, voire contre le vouloir de son créateur) cette inclination et promptitude d’appétit, par lequel il désire plus la chose corporelle, matérielle et mortelle, que l’incorporelle et divine pleine de vie. Et aime plus son corps et ses concupiscences que Dieu et ses contemplations. Et finalement, constitue plutôt son appui et contentement ès choses corruptibles, sujettes à la perception de ses sens, qu’il ne fait ès choses divines, éternelles, immortelles, sujettes à la perception de la raison, entendement et pensée, qui sont toutes parties de l’image de Dieu qu’il a en soi. Chose qui lui nuit, et résiste grandement à élever sa pensée et la retirer vers les choses hautes, délaissant les plaisirs des sens pour vaquer à la contemplation des choses immortelles et invisibles. Et c’est ce qui empêche une bonne partie des gens de Lettres de pouvoir comprendre cette partie incorporelle de l’homme être l’Image et l’Esprit de Dieu, que l’homme a reçu en sa composition, ne pouvant concevoir que Dieu, inspirant en la face de l’homme, lui ait inspiré du sien propre son Image et son Esprit en l’âme vivante, comme étant lui seul vie. Ains [mais] disent plutôt qu’il lui a inspiré l’âme vivante d’ailleurs que son essence, combien que ce bon et très opulent Dieu n’ait jamais eu telle souffrette [été si nécessiteux], que pour créer toute créature il a eu à prendre quelque chose d’ailleurs. Mais a fait toutes choses visibles de ces choses invisibles, comme dit l’Apôtre. Et la sapience dit qu’il a créé le tout de manière invisible, comme étant le seul immortel et invisible, et qui a rendu l’homme participant de divine nature et temple du Saint Esprit, n’ayant reçu l’Esprit du monde, ains [mais] ce même Esprit, qui est de Dieu. Et combien que toutes ces choses (et autres confirmant celles-ci) soient écrites assez clairement, ce néanmoins l’homme se trouve si dur à reconnaître la bonté de son créateur, par cette partie divine en soi, étant si incliné et pendant [attiré] devers l’abus des choses matérielles, directement contraires aux divines, qu’il confesse mal aisément avoir Dieu en soi, pour, par cette connaissance de soi tant désirée des Anciens, venir à la connaissance de Dieu; ne s’avisant l’homme que Dieu est un sujet si excellent et parfait qu’il ne peut être connu que de soi-même. Et par conséquent, qu’il ait composé l’homme de matière et son Image Saint Esprit, pour avoir fait le seul animal et créature capable de le contempler et connaître, par sa partie même, laquelle saint Paul déclare désirer Dieu et servir à sa loi continuellement. C’est ce seul défaut qui emporta le premier homme, et qui détient sa race si éloignée de la connaissance de Dieu, même quand il se laisse emporter à la partie qui plus règne en sa composition. Combien qu’il ouïsse l’Esprit de Dieu criant en lui par grâce prévenante, et continuellement heurtant à sa porte, toutefois il est le plus souvent [si] endormi en ses convoitises qu’il ne l’ouït ni écoute, ou pour le moins ne le veut ouïr ni écouter. Et parce que cette obstination ne vient toujours ni à toutes gens, ains [mais] seulement au commun, il s’en trouve certain nombre qui n’ont ployé le genou devant Baal. Lesquels, écoutant le Saint Esprit, se retirent à ses conseils et douces admonitions, par le moyen desquelles ils acquièrent la connaissance du danger et péril engorgé, auquel le premier père les a laissés, et du moyen qui leur est présenté de s’en retirer, à savoir celui que dit saint Paul: c’est d’user des choses corporelles de ce monde comme n’en usant ni mettant le cœur qu’en ce qu’elles sont nécessaires à la vie et conduite, chacun de son état, délaissant les excès et abus de toutes choses matérielles pour soi retirer à la spéculation et considération des choses invisibles et divines, y employant le temps que la pensée y peut vaquer, faisant toutes autres opérations ou repos. Dans lesquelles l’homme trouve connaissance de l’amour et bonté de Dieu envers cette créature composée de lui, être si grande que, tout d’un coup, avec la première faute portant si grande ruine, lui fut donnée restauration d’une plus grande excellence et perfection qu’il n’avait jamais eue auparavant. Et cette-ci est la philosophie véritable, et par laquelle l’homme parvient à la connaissance de ce très souverain bien, but de toute la philosophie et par laquelle connue, l’homme vient à considérer y avoir en soi une bien grande stupidité, et sommeil d’ignorance, qu’il s’émerveille d’avoir tant tardé à connaître le créateur par ses créatures, et l’ouvrier par l’œuvre, [et] l’invisible par les choses visibles, comme saint Paul l’a dit. Ce n’est qu’à faute de les avoir bien entendues. Dont [d’où] s’ensuit que l’homme soit connaissant (et par ce moyen venu à la connaissance de Dieu, tant par les choses faites et visibles, aperçues par les sens, que par les choses incréées, invisibles, éternelles et conçues par la seule raison et pensée) parvient à la vraie philosophie, recherchée par tant de personnes doctes errantes, et atteinte par si peu de nombre qui soit parvenu au vrai but et sujet d’icelle, qui est la connaissance du souverain bien, par la considération des œuvres de Dieu et son salut et perfection.
Je vous présente, Madame, ce petit discours, ayant été averti (et depuis l’ayant connue par présente expérience) de votre excellente nourriture, entendement généreux, amour et dévotion très chrétienne à Dieu, et désir de toutes bonnes connaissances, qui sont perfections en la personne et divine âme de votre Majesté, digne de la Marguerite des princesses, et capable de recevoir les avertissements et doctrine de la Marguerite des Philosophes. C’est [ceux] du grand Mercure, non traduits et commentés selon la condignité de votre grandeur et sienne, qui mériteraient le travail d’un plus docte et suffisant interprète. Toutefois, Madame, désirant d’offrir à la hauteur de votre jugenuité [sic] chose concevable à votre divine pensée (laquelle sur toutes ces choses, tendant à son propre lieu, recherche la connaissance des grandes perfections de Dieu, et de toutes les saintes disciplines), j’ai trouvé ce Pimandre de Mercure, dit des anciens trois fois très grand, par tant de milliers d’ans délaissé sans interprétation, et par lequel non seulement les excellences et grandeurs de Dieu reluisent, mais la philosophie (si longuement rejetée d’aucun professeur de la religion chrétienne) se trouve totalement conjointe par acquisition de la connaissance de ce souverain bien (seul but des Philosophes et Chrétiens). Lequel [discours], suivant votre commandement reçu avec très humble honneur et révérence, je présente à votre majesté, désirant que, outre la connaissance des excellences et grandeurs qu’il plaira à Dieu communiquer à votre divin entendement, il y puisse pareillement continuer l’étude de la vraie Philosophie Chrétienne, et inquisition [recherche] de la connaissance des vertus et bontés de ce souverain bien, désirée de tous amateurs: sapience et vérité chrétienne qui vous est annoncée par ce grand Mercure, nous donnant la plus ancienne écriture que nous sachons être ce jourd’hui sur la terre venue jusques à notre temps. Votre Majesté, Madame, avec son bon plaisir m’honorera tant de recevoir ce petit mien labeur pour agréable, ensemble votre très humble et très obéissant serviteur, lequel supplie la souveraine bonté, créateur, facteur et conservateur de toutes choses, augmenter en votre majesté les dons et grâce en perpétuel accroissement de grandeur, attendant le fruit et jouissance de la perpétuelle félicité.
De Cadillac, ce 25e du mois de décembre 1578. Par Votre très humble et très obéissant serviteur, François de Foix.

Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions).

mis en ligne le 4.1.2012


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