MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami/es de Marguerite

Jean D’Agoneau

L’Aretaphile, ou l’Amy de la vertuDedié à la serenissime Reine Marguerite. Paris, Mathieu Guillemot, 1606.

À la Reine Marguerite.

Madame,

Entre toutes les affections dont les sens peuvent être forcés, celle des pères aux enfants sont les plus considérables. Et de vrai, je tiens pour une merveille que, l’amour n’étant que [l’amour] du beau, il ne se voit pas un père qui ne trouve en ses enfants (bien que parfois difformes et défectueux) quelque chose d’aimable, voire, il ne s’en voit aucun qui n’essaie bien souvent d’imposer à sa connaissance propre, et lui faire remarquer, au milieu de mille défauts, des grâces qu’autre que lui n’est capable d’imaginer; ce que je dis des pères sensuels se doit aussi bien entendre des intellectuels, et plus justement que des autres. Parce que les premiers ne fournissent que la matière à la génération, au lieu que ces derniers peuvent, ainsi que Jupiter, se dire les pères et les mères de ce qui part de leur entendement, et par conséquent, [sont] plus enclins à les chérir et les aimer. Si ce que je dis est fondé en apparence de raison, je m’en rapporte à ceux des siècles passés, à ceux, dis-je, qui ont mieux aimé se soumettre aux peines des autels qu’effacer, supprimer ou désavouer leurs ouvrages, et à ceux encore de qui l’on voit la gentillesse et l’art paraître également aux amours et aux fables qu’ils ont traitées. Les délices et les beautés qui s’y trouvent me font juger la cause de l’exil fort excusable aux uns; et quant aux autres, je ne les puis blâmer d’avoir plutôt voulu consentir à la perte des dignités honorables, où leur vertu les avait [sic], qu’à celle de la gloire qu’ils espéraient de leurs écrits. Mais, de ceux à qui la conscience a dû faire le reproche de leur témérité, j’ai pitié de leur ignorance, bien que je n’excuse pas leur volontaire aveuglement. Tout ainsi que je ne m’excuse pas moi-même d’avoir osé confesser à Votre Sérénissime Majesté qu’à l’exemple de ceux qui ne savent pas bien se taire, je m’étais donné liberté de dire sur le papier quelqu’unes de mes opinions. Je sais bien quelle censure est due à cette vanité. Mais si reconnaître sa faute est un acheminement à la grâce, je me dois assurer d’une prompte rémission; je m’en estimerais indigne si (persévérant en mon erreur) j’avais osé, sans la permission de V.S.M., laisser sortir de mes mains ce premier de mes Paradoxes. Vous trouvez bon, MADAME, que sous les heureux et glorieux auspices de votre nom, il aille recueillir les voix de ceux qui l’approuvent ou le désapprouveront. Qu’il parte donc à la bonne heure, puisqu’il doit porter sur le front les marques de l’aveu de la plus digne, plus illustre, plus grande et plus généreuse Princesse qui soit en tout notre univers. Que n’est-il aussi digne de publier la gloire que vous méritez et celle que vous lui faites posséder, que je suis désireux d’admirer l’une et me rendre digne de l’autre! Mais cette matière désire un autre temps et un esprit d’autre trempe que le mien. Je laisserai donc à celui qui méritera cet honneur (si quelqu’un peut le mériter) la charge de célébrer les louanges qui sont dues à vos plus que Royales vertus. Et puisque ma plume est par manière de dire, aussi bègue que ma langue; je me réserverai pour joindre aux vœux et voix de ceux qui savent l’obligation que vous ont les Français, et la France, dont vous êtes la fille aînée, les vœux et la voix de mon âme, avec les prières instantes que je fais tous les jours au Ciel, afin qu’il accorde à V.S.M. autant de faveurs éternelles et temporelles, qu’il lui en a départi de spirituelles, et autant que lui en peut souhaiter,
MADAME, 
Votre très humble, très obéissant et très affectionné serviteur,

G. D’Agoneau.

Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions).

mis en ligne le 16.1.2012


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