MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami/es de Marguerite

Jean Darnal

Remonstrance ou harangue solennelle faicte aux ouvertures des plaidoyers d’après la Saint-Luc dans la Sénéchaussée d’Agen, avec le panegyrique de la reyne Marguerite, comtesse de l’Agenois. Paris, François Huby, 1606.

MADAME,
J’ai pris assurance de m’adresser à votre Majesté, pour lui offrir et dédier très dévotement et très humblement cet ouvrage, tel qu’il est contenant trois chefs. Le premier est l’embarquement et navigage des Officiers et gens de Justice. L’autre, c’est l’histoire de ce pays d’Agenais. Le dernier en orare [art oratoire] et premier en mérite pour l’argument et sujet, est l’Éloge des Royales vertus de votre Majesté.
Je ne pense point, MADAME, en cette dédicace et consécration, avait [avoir] eu manque de jugement. Au premier chef, [il] n’est point fanal, feu saint Elme ni Étoile du Nord ou autre lumière céleste qui puisse mieux éclairer et conduire plus favorablement sur l’Océan des grandes affaires de ce monde, que votre sublime entendement Royal; ni aucun vent propre et favorable qui puisse plus doucement et heureusement inspirer les lotes et nautoniers de cette mer, que la désirable grâce de votre bienveillance très fortunée. Au second chef, ce pays est à vous, MADAME, et tout ce qui en dépend relève de votre Majesté: tant de troupes et légions éparses et errantes que j’ai ramassées et rassemblées en ce discours au son du trompette et tambour des Muses, sous votre autorité, après les avoir rangées et mises par ordre, et [avoir] donné quartier à chacune sous la gloire et l’honneur de votre nom et aveu. Je sais que je ne suis guère bon Maréchal de Camp; je désire leur faire faire montre générale et solennelle sous l’étendard de votre Majesté, avec un million de saluts, non point d’arquebusades, mais bien d’une infinité de vœux et souhaits éternels de bonheur, et félicités qu’ils tirent et portent au Ciel pour le service, prospérités et contentement de votre Majesté. Il n’est point que ces troupes (parce qu’il en y a de toutes nations) n’aient des ennemis et malveillants. Et serait à craindre qu’ils fissent quelque mauvaise et sinistre rencontre, et qu’ils courussent fortune dans la faveur et l’assistance du passeport et sauf-conduit de votre majesté en vos terres et pays. Au tiers et dernier chef, je vous demande pardon, MADAME, de quoi je me suis si mal acquitté de cet article. Aussi, certes, je pense être exécrable en cet endroit, puisque la vraie louange de votre majesté est de ne pouvoir être suffisamment louangée, connaissant et confessant très volontiers que la lueur et splendeur de cette grande lumière, rejaillissant de tant de grâces et perfections Royales dont elle est infiniment enrichie, m’a ébloui et étonné la vue et les sens; n’ayant point manqué, après tout, de désir et bonne volonté de mieux faire à l’avenir, si Dieu me donne le moyen de ce faire. Et puisque les champs, les jardins et vergers de cette contrée et région sont à vous, et que ce qui naît et croît en iceux est vôtre, il est bien raisonnable que j’offre à votre Majesté et lui fasse présent des premiers fruits que j’y ai recueillis. Aussi on a de bonne coutume de présenter et servir à la table des Rois et Reines, comme vous, les fruits des premiers qui se voient selon les diverses saisons de l’année. Et ces fruits ordinairement méritent la grâce et la faveur de l’avant saison. Je désirais donc que ces miens premiers fruits ou leurs fleurs eussent cette bonne fortune, qu’ils fussent agréables à votre Majesté; aussi des trésors cachés découverts, et des denrées transportées d’autres pays: le droit en appartient au Seigneur.
Je sais bien que ce siècle est enclin à toutes sortes de calomnies, d’ennuis et de médisances. Ceux qui écrivent en ce temps ne peuvent faillir, étant exposés au jugement des haineux, d’être drapés et de recevoir de vives atteintes et rudes morsures. Il est du tout impossible de plaire à tout le monde, chacun ayant son divers goût. Mais je ne dois redouter ces heurts et rencontres, étant à l’abri à l’ombre du bouclier de Pallas, qui est la grandeur et autorité de votre Majesté. Si ne pensé-je point avoir grand besoin d’excuser le peu de valeur et mérite de ce dessein et labeur, si la façon n’en est assez belle et exquise, et si elle tient du terroir: l’étoffe de soie est fort riche, belle et agréable. Ce n’est qu’or, pierreries, perles et pourpre. N’y a presque que rien qui soit bas et vulgaire. Il ne se parle [en] cette histoire de l’Agenais (ou à mieux dire de toutes les nations qui ont mis le pied dans le pays d’Agenais et Gascogne pour le Seigneur) que des anciens Rois Gaulois et des rois naturels de cette contrée Agenaise. Surtout, des merveilleux effets et héroïques exploits de paix et de guerre des Rois vos ancêtres et bisaïeuls, éternellement louables. En telles matières, on ne juge pas tant au style et du [au] discours, que des choses qu’on a prises pour sujet. S’il y a de quoi apprendre en ce discours, je n’en suis point le précepteur, mais [ce sont] bien les Auteurs dont j’ai tiré cette histoire diverse, éparse et errante, voire enveloppée dans les plis et replis, les tours et détours de l’Antiquité vermoulue et chansie [sic]. Si est-ce que le soin et le travail de la collection, disposition et ordre m’en sont dus: ayant donné jour aux ténèbres, et ôté la confusion obscure, qui n’est que trop commune et occurrente, en la déduction d’une si longue histoire mêlée, et d’un temps si reculé, depuis mille sept cent ans en ça, entrecoupée et entrelacée d’un million d’accidents et d’occurrences diverses et étranges.
Votre retour en Cour, MADAME, que je désire très heureux (comme il ne peut être autre) m’aurait presque ôté le courage de me donner l’honneur et la bonne fortune d’envoyer cet Écrit à votre Majesté, n’ignorant point vos très grandes et très importantes et sérieuses occupations, et le peu ou point de temps que vous auriez de jeter passagèrement l’œil divin d’icelle sur ce recueil. Toutefois, après m’être ressouvenu qu’il vous plut, la dernière fois que j’eus le bonheur de voir votre Majesté, de faire quelque semblant [de faire mine] (que je crains et révère) qu’elle aurait agréable cette histoire, ce souvenir m’a encouragé de la vous envoyer, pour vous rendre l’hommage du très humble service, fidélité et obéissance dont elle et son Auteur vous sont naturellement obligés et redevables (aussi, mon intention principale est de publier vos louanges et perfections royales, et des Rois très chrétiens vos Ancêtres). Ou pour mieux dire, elle s’en y va très volontiers, et d’une grande allégresse, se jeter aux pieds de votre Majesté, bien qu’elle ne soit point parée d’un habit assez propre et riche pour s’y présenter. On n’a pas ce bon rencontre, en ce pays un peu rude et grossier, de s’habiller si bien et si proprement, ni d’avoir d’air si beau et agréable, que ceux qui sont nourris et élevés à la Cour. Si ne restera[-t-]elle point de vous rendre cet hommage en cet équipage et contribuer, selon sa petite portée, à l’honneur, révérence et acclamation de publique joie, allégresse, qu’on vous doit rendre à l’envi, à la réception bienheureuse de votre Majesté en Cour, vous y souhaitant autant de prospérité, de voeux et félicités qu’il y a d’âmes nobles, généreuses et vraiment françaises qui y ont désiré ardemment votre retour et qui se réjouiront infiniment en icelui. Je l’ai présagé il a assez longtemps, comme ce discours le témoigne, m’éjouissant d’une allégresse et contentement inénarrables de voir à présent approcher les effets de ma prophétie, et l’adoration derechef en cour de vos divines vertus s’accomplir. Faisant fin, je supplierai très humblement votre Majesté faire cette grâce à cette histoire de lui permettre de se produire et mettre au jour sous les auspices très heureux de votre humaine déité tutélaire, priant Dieu, MADAME, qu’il vous doint [donne], en parfaite santé, très heureuse et longue vie, avec accroissement de toutes propriétés et contentement. De votre Majesté,
Le très humble et très obéissant sujet,
Darnal.

Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions; quelques alinéas créés dans les textes longs).

mis en ligne le 12.1.2012


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