MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami/es de Marguerite

Scipion Dupleix

La Curiosité naturelle rédigée en questions selon l’ordre alphabétique, par M. Scipion Du Pleix, Advocat du roy au siege presidial de Condom et M. des Requestes ordinaire de la Royne Marguerite. Paris, L. Sonnius, 1606
(+ Paris, veufve Dominique Salis, 1606 + Rouen, Nicolas Angot, 1615).

À la Reine Marguerite, Duchesse de Valois, Comtesse de Condomois, Agenais, Rouergue, etc.

Madame, 
Ceux qui ont le plus curieusement recherché la nature et propriétés des choses ont observé qu’il y a non seulement des animaux, comme les chèvres de Candie, mais aussi des plantes, comme l’héliotropion, le tragopogon et ornichogalon, qui tournent leur tête et leurs fleurs vers le Soleil dès lors, que montant sur notre horizon, il nous rapporte la lumière journalière. Il en est arrivé de même lorsque, après plusieurs années (que le désir de Vous revoir nous a fait sembler autant de siècles), il a plu au Soleil de V. M. de reluire sur l’horizon de la France. Car tout aussitôt les Français ont tourné non seulement leurs têtes mais aussi leurs cœurs et leurs affections avec mille sortes d’applaudissements au service d’icelle, et leurs yeux vers le Ciel pour sa prospérité, se conjouïssant très unanimement de revoir cette fille de France, seul et unique fleuron de l’ancienne et très illustre tige de tant de valeureux Rois, en laquelle reluisent toutes les royales vertus et perfections de ses plus vertueux et perfectionnés ancêtres. Mais ce qui est encore de plus singulier et remarquable, c’est que toutes les Muses qui semblaient s’être mussées [cachées] dans quelque grotte fuyant la rage et l’orage de Mars, et s’y être endormies du sommeil d’Endymion, soudain se sont toutes éveillées, comparant en beau jour au premier bruit de l’arrivée de V.M., comme à la divine voix de leur Apollon ou Minerve. Aussi vous est-il possible d’être de l’engeance des très augustes familles de Valois et des Médicis sans prendre la favorable et honorable protection des Lettres, les remettre en vogue, les admettre chez vous, et faire état de ceux qui en font profession, non pas comme Denis tyran de Syracuse pour en acquérir une vaine gloire, ains [mais] pour propensation [sic] et inclination naturelle aux choses divines et les plus recommandables et louables.
Pour moi (qui ne suis pour ce regard qu’un oison enroué entre les cygnes à la voix éclatante), j’avais déjà au précédent [auparavant] reçu témoignage de l’affection et bonne volonté de V.M. en mon endroit, mais encore m’a-t-elle voulu surobliger, m’ayant naguère fait l’honneur de me choisir pour un de ses domestiques en la charge de maître des Requêtes ordinaires de sa maison, après m’avoir plus favorablement accueilli qu’un très humble sujet tel que moi ne saurait jamais espérer de sa Princesse. Mais quoi? C’est un rayon ordinaire des vertus très illustres de V.M., laquelle par son affabilité ravit à soi tout le monde, par ses discours judicieux se fait admirer, par sa bonté aimer, et par sa libéralité retient et maintient et oblige. Il en est certes de V.M., tout au rebours que d’une espèce de fruit d’arbousier, que les Latins appellent fort proprement ynedo [arbousier], de ce que celui qui en mange une fois en sa vie, jamais plus n’en veut goûter. Car au contraire, celui qui a une fois savouré la douceur des mœurs de V.M. n’a non plus envie de s’en séparer que ceux qui sont attachés par les oreilles près des écueils Syréniens [de l’île des Sirènes]. Mais, comme V.M. ne cesse jamais d’honorer les Lettres, aussi ne faut-il pas que les hommes lettrés cessent de l’honorer. Oh, que les traits de leur pinceau sont bien plus délicats et leurs ouvrages plus riches et durables que ceux d’Apelle ou de Lysippus, quoiqu’Alexandre le Grand les eût en grande estime! Car en s’immortalisant, ils immortalisent autrui. Je n’ai pas pourtant cette philautie ni présomption de moi-même, que je sois digne d’étaler les louanges de V.M. en mes écrits (je reconnais mon style trop bas), mais à tout le moins dois-je publier ses bienfaits en mon endroit, et les reconnaître par quelque offrande des ouvrages de mes études (ne pouvant plus dignement), pour éviter le blasphème honteux d’une ingratitude et méconnaissance reprochable. Plaise donc à V.M., Madame, de recevoir ce recueil des questions naturelles, attendant que j’en dresse un autre des surnaturelles, lequel sera plus avenant à votre esprit surnaturel, tout divin et sublime. Et, la suppliant très humblement de me continuer la faveur de ses bonnes grâces, je persisterai en mes vœux et prières pour sa prospérité et santé, et au zèle, respect, fidélité et obéissance que doit à V.M.
Son humble et très obéissant sujet et serviteur,
Sc. Du Pleix.

Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions; quelques alinéas créés dans les textes longs).

mis en ligne le 8.1.2012


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