La France, les femmes et le pouvoir

Une recherche en histoire politique, présentée par Eliane Viennot


accueil
les articles
la loi salique
les gouvernantes
héroïnes

La France, les femmes et le pouvoir. L'invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle). Paris, Perrin, 2006

Conclusion Partie 4 : L'affrontement (XVe-XVIe siècle)


Une page se tourne donc dans l’histoire des relations entre les sexes et le pouvoir avec la victoire du premier Bourbon. Les successions des fils de Philippe le Bel s’étaient faites au rapport de force, à l’intimidation, aux marchandages; seules les circonstances les avaient motivées. Les successions de Charles VIII et de Louis XII avaient, à l’amiable, mêlé l’ancien et le nouveau; on pouvait croire la France revenue à la norme, ou du moins prête à composer. Celle d’Henri III laisse peu de doutes. Le Bourbon arrive au pouvoir au terme de huit ans de guerre, après avoir éliminé tous ses compétiteurs. Il y arrive sans son épouse, le seul maillon qui l’unissait aux derniers Valois, qui justifiait qu’il passe devant ses cousins de Lorraine, de Savoie et d’Espagne. Et il y arrive au nom de la loi salique, à propos de laquelle, huit ans durant, tout les partis se sont livrés à une gigantesque «explication de texte», faisant connaître l’invention du siècle précédant jusqu’au fond des campagnes et au-delà de nos frontières. Aux termes de la «dernière guerre», la France persiste et signe: le sang des femmes ne compte pas. Celui des hommes, en revanche, vaut «au millième degré». Le temps du flou est terminé.

Est-on vraiment d’accord? En tout cas, il le semble. Un par un, les ennemis du premier Bourbon ont rallié son camp, même les chefs catholiques, et d’abord les femmes! Et si ce n’est pas fait, c’est une question de mois – grâce à elles. Les villes rebelles ont, sur la fin, envoyé signal sur signal pour trouver un terrain d’entente avec le «Béarnais»; après l’abjuration, le mouvement s’est accéléré, tant le pays était pressé de mettre un point final aux guerres civiles, de voir rétablir l’ordre. Le Parlement de Paris, qui s’était étripé, a resserré ses rangs dans la dernière ligne droite, en se dessinant un nouveau costume: celui de sauveur de l’État, de garant de sa continuité. En bref, l’union sacrée s’est faite autour de «Henri IV», descendant de saint Louis, ancien trublion de souche bien française enfin devenu raisonnable. Les protestants, sans doute, sont amers. Mais déjà ils songent à la phase suivante: obtenir du souverain de vraies assurances, s’installer dans cette paix nouvelle; certains d’ailleurs se convertissent à la suite de leur roi, pour investir l’État, l’accompagner dans le pouvoir. L’Espagne elle-même résiste pour la forme: sa cause a triomphé, elle va bientôt signer la paix.

Les femmes sont donc les grandes perdantes du cycle qui se clôt – toutes les femmes, même celles qui occupent les plus hautes positions, dont on attend seulement qu’elles recollent les morceaux. C’est sur leur dos que se reforme l’unité du pays, comme le laissait prévoir, durant la dernière empoignade, l’accord quasi parfait des belligérants sur la question de l’ordre sexuel. La plupart ont perdu des plumes, mais l’essentiel, du moins, a été sauvé: la suprématie masculine, l’identité française. On peut rebâtir à partir de ça. Pour elles, la défaite est sévère. Le terrain perdu avec l’éviction de Jeanne de France n’a pas été reconquis, et tout laisse penser qu’il ne le sera pas. La dégradation de leurs droits, de leur autorité dans la famille, de leur place au travail, s’est globalement poursuivie. Des centaines d’entre elles sont parties en fumée sur les bûchers de France et de Navarre. Des milliers de pages dégradantes ont été écrites sur leur compte. Au cours de cette période, les lieux de résistance les plus sûrs avaient été trouvés autour des reines et des princesses, avec l’aval des rois; il n’y a plus ni reine ni princesses dans l’entourage de Henri IV (si ce n’est sa sœur Catherine, qui ne pense qu’à sauver son âme), et la misogynie du nouveau souverain est de notoriété publique. Les «champions des dames» ont d’ailleurs renoncé à protester, au cours des dernières décennies, dès que les signes en provenance du pouvoir ont fléchi. Les conflits religieux avaient rouvert aux femmes des espaces de parole, d’action; les guerres, comme d’ordinaire, leur avaient fourni à foison l’occasion d’innover, de s’autonomiser… Voilà tout le monde réconcilié, autour de l’idée que les femmes sont faites pour obéir aux hommes, et que la France est le seul pays à être fondé sur cette «loi».

À l’heure où Henri IV s’installe dans Paris, entouré d’anciens huguenots, de nouveaux arrivistes et de vieux routiers de la politique, aucune femme, semble-t-il, ne se «prend à rire», comme l’avait fait Christine de Pizan «l’an mil quatre cent vingt et neuf», après onze ans passés à pleurer dans «l’abbaye close». L’an 1594 vient clore neuf ans de guerre, mais il ne «reprend» pas «à luire le soleil», il ne «ramène» en rien le «bon temps neuf». Pour pouvoir à nouveau s’exclamer «Quel honneur au féminin sexe!», il va falloir attendre… quelques années seulement.


Contact ııı••ıııııMentions légales ııı••ıııııPlan du site ııı••ıııııFavoris