La France, les femmes et le pouvoir

Une recherche en histoire politique, présentée par Eliane Viennot


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La France, les femmes et le pouvoir. L'invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle). Paris, Perrin, 2006

Introduction Partie 5 (2e volume)
Les résistances de la société (XVIIe-XVIIIe siècle)


Aux lendemains de la dernière guerre civile et religieuse du XVIe siècle, la défaite des femmes paraît consommée. Dès les années 1560, les opposants de Catherine de Médicis se sont acharnés contre elle, en mariant la xénophobie à la misogynie. La décennie 1584-1594, surtout a été le théâtre d’une guerre de succession funeste pour l’égalité des sexes. Les principaux partis en lice, en effet, ont fait campagne pour l’application de la «loi salique», principe prétendument venu du fond des âges (quoique forgé au XVe siècle) et selon lequel, en France, les filles de rois ne peuvent ni hériter ni transmettre la Couronne. Un principe que ses partisans, faute d’être d’accord sur l’homme qu’il désignait, ont célébré comme l’incarnation de la grandeur du royaume des lis – le seul d’Europe à n’avoir jamais toléré la «gynécocratie»! Manière de dire que les femmes qu’on avait vu exercer le pouvoir suprême durant un siècle n’avaient rien à faire à ce poste; et que toutes les autres femmes doivent se tenir à carreau. Non seulement les belligérants, de quelque bord qu’ils soient, ont communié autour de cet idéal, mais la victoire de Henri IV, qui avait fait chanté ses vertus, a définitivement transformé la fable en règle successorale française.

La nouvelle période s’ouvre donc, pour les femmes, sous des couleurs bien sombres. Mais si la messe est dite en termes institutionnels, le temps de leur éviction du champ politique n’est pas encore venu, non plus que celui de leur marginalisation dans la vie culturelle, intellectuelle et religieuse. Les quelques mots dédiés par nos histoires de France à leur place dans la société d’Ancien Régime pourraient même laisser croire qu’on n’a «encore rien vu», puisque le XVIIe siècle est en général la période qu’elles choisissent pour commencer à nous parler des femmes, ces «reines» des nouvelles formes de sociabilité que sont les salons. L’impression est fausse, évidemment, une fois vues les époques qui ont précédé celle-ci, mais il est vrai que l’on assiste alors à une restauration spectaculaire de la position des femmes de l’élite, et même à leur progression dans des domaines farouchement défendus par la clergie depuis plusieurs siècles; avancées dont bénéficient, au fur et à mesure que le temps avance, des femmes de couches sociales de plus en plus diverses.

Tout se passe en réalité comme si, la guerre qui faisait rage depuis trois siècles contre les positions de pouvoir des femmes ayant été gagnée au niveau le plus haut et le plus symbolique, et cette victoire ayant permis de réaffirmer solennellement les grands principes jusque dans chaque ménage, une ère nouvelle pouvait s’ouvrir. Comme si, finalement, rares étaient les hommes prêts à payer le prix réel de la domination masculine: vivre avec une inférieure vouée à la reproduction, renoncer au «commerce» des belles femmes comme aurait dit Montaigne (l’un des trois grands plaisirs de sa vie!), renoncer aux charmes de la vie sociale mixte (serait-ce un pléonasme?), ne trouver nulle part à échanger – idées, sentiments, émotions – qu’avec d’autres hommes… La France a une trop vieille culture de la mixité, elle a trop progressé sur cette voie durant la Renaissance, pour avoir envie d’aller plus loin dans la dégradation des relations entre les sexes. Bien des gens, du reste, hommes comme femmes, n’ont fait que la subir: malgré le terrorisme intellectuel des acharnés, malgré l’emballement de la justice, les protestations se sont multipliées. Certains, certaines, ne se sont tus que par peur des représailles, optant en leur for intérieur, et dans l’espace privé de leur vie ou de leur famille, pour d’autres choix.

Dans la société globalement pacifiée qui sort de la dernière guerre civile du XVIe siècle, ces choix, ces désaccords, s’expriment au grand jour. Ce qui est fait est fait, on ne reviendra pas sur les règles successorales – quoique le désir des rois de désigner leur héritier, plutôt que laisser s’appliquer mécaniquement le nouveau système, en démange encore quelques-uns. Mais on continuera d’en discuter. Et on cessera de brûler les femmes. Et nombreux seront ceux qui auront à cœur de les aider à regagner le terrain perdu, dans les domaines les plus insultants pour la dignité humaine.


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