MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami·es de Marguerite

Texte établi par Éliane Viennot

Notes, indications d'années, introductions et glossaires (mots marqués d'un *) dans les éditions suivantes :

• Marguerite de Valois, Mémoires et autres écrits, 1574-1614. Paris, H. Champion, 1998

• Marguerite de Valois, Mémoires et discours. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005 — Acheter en ligne

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années 1572-1574••>>>

Au bout de quelque temps, les propos s’en continuant toujours, la reine de Navarre sa mère vint à la Cour, où le mariage fut du tout accordé avant sa mort, à laquelle il se passa un trait si plaisant qu’il mérite, non d’être mis en l’histoire, mais de ne le passer sous silence entre vous et moi. Madame de Nevers, de qui vous connaissiez l’humeur, étant venue avec Monsieur le cardinal de Bourbon, Madame de Guise, Madame la princesse de Condé, ses sœurs et moi au logis de la feue reine de Navarre à Paris, pour nous acquitter du dernier devoir dû à sa dignité et à la proximité* que nous lui avions (non avec les pompes et cérémonies de notre religion, mais avec le petit appareil que permettait la huguenoterie, à savoir: elle dans son lit ordinaire, les rideaux ouverts, sans lumières, sans prêtres, sans croix et sans eau bénite, [et nous] nous tenant à cinq ou six pas de son lit avec le reste de la compagnie, la regardant seulement), Madame de Nevers [donc], qu’en son vivant elle avait haïe plus que toutes les personnes du monde (et elle lui ayant bien rendu, et de volonté et de parole, comme vous savez qu’elle en savait bien user à ceux qu’elle hayait*), part de notre troupe, et avec plusieurs belles, humbles et grandes révérences, s’approche de son lit, et lui prenant la main la lui baise; puis, avec une grande révérence pleine de respect, se met auprès de nous. Nous, qui savions leur haine, estimant cela,

[…].

Quelques mois après, ledit prince de Navarre, qui lors s’appelait roi de Navarre, portant le deuil de la reine sa mère, y vint accompagné de bien huit cents gentilshommes tout en deuil, qui fut reçu du roi et de toute la Cour avec beaucoup d’honneur. Et nos noces se firent peu de jours après avec autant de triomphe et magnificence que de nulle autre de ma qualité, le roi de Navarre et sa troupe y ayant laissé et changé le deuil en habits très riches et beaux, et toute la Cour parée comme vous savez, et la saurez trop* mieux représenter; moi habillée à la royale avec la couronne et couette d’hermine mouchetée qui se met au devant du corps, toute brillante de pierreries de la couronne, et le grand manteau bleu à quatre aunes de queue portée par trois princesses; les échafauds dressés à la coutume des noces des filles de France, depuis l’évêché jusques à Notre-Dame, et parés de drap d’or; le peuple s’étouffant en bas à regarder passer sur ces échafauds les noces et toute la Cour… Nous vînmes à la porte de l’église, où Monsieur le cardinal de Bourbon y faisait l’office ce jour-là, où nous ayant reçus pour dire les paroles accoutumées en tel cas, nous passâmes sur le même échafaud jusques à la tribune qui sépare la nef d’avec le chœur, où il se trouva deux degrés*, l’un pour descendre audit chœur, l’autre pour sortir de la nef hors l’église. Le roi de Navarre s’en allant par celui de la nef hors de l’église, nous

[…]

La Fortune, qui ne laisse jamais une félicité entière aux humains, changea bientôt cet heureux état de triomphe et de noces en un tout contraire, par cette blessure de l’amiral, qui offensa tellement tous ceux de la Religion*, que cela les mit comme en un désespoir. De sorte que l’aîné Pardaillan et quelques autres des chefs des huguenots en parlèrent si haut à la reine ma mère, qu’ils lui firent penser qu’ils avaient quelque mauvaise intention. Par l’avis de Monsieur de Guise et de mon frère le roi de Pologne, qui depuis a été roi de France, il fut pris résolution de les prévenir* – conseil de quoi le roi Charles ne fut nullement, lequel affectionnait fort Monsieur l’amiral, Monsieur de La Rochefoucauld, Théligny, La Noue, et quelques autres des chefs de la Religion*, desquels il se pensait servir en Flandre. Et, à ce que je lui ai depuis ouï dire à lui-même, il y eut beaucoup de peine à l’y faire consentir; et sans ce qu’on lui fit entendre qu’il y allait de sa vie et de son État, il ne l’eût jamais fait.

Et ayant su l’attentat que Maurevert avait fait à Monsieur l’amiral du coup de pistolet qu’il lui avait tiré par une fenêtre, d’où le pensant tuer il resta seulement blessé à l’épaule, le roi Charles, se doutant bien que ledit Maurevert avait fait ce coup à la suscitation de Monsieur de Guise (pour la vengeance de la mort de feu Monsieur de Guise son père, que ledit amiral avait fait tuer de même façon par Poltrot), il en fut en si grande colère contre Monsieur de Guise, qu’il jura qu’il en ferait justice. Et si Monsieur de Guise ne se fût tenu caché tout le jour, le roi l’eût fait prendre. Et la reine ma mère ne se vit jamais plus empêchée* qu’à faire entendre audit roi Charles que cela avait été fait pour le bien de son État, à cause de ce que j’ai dit ci-dessus de l’affection qu’il avait à Monsieur l’amiral, à La Noue et à Théligny, desquels il goûtait l’esprit et valeur, étant prince si généreux qu’il ne s’affectionnait qu’à ceux en qui il reconnaissait telles qualités. Et bien qu’ils eussent été très pernicieux à son État, les renards avaient su si bien feindre qu’ils avaient gagné le cœur de ce brave prince, pour l’espérance de se rendre utiles à l’accroissement de son État, et en lui proposant de belles et glorieuses entreprises en Flandre, seul attrait de cette âme grande et royale. De sorte que, bien que la reine ma mère lui représentât en cet accident* que l’assassinat que l’amiral avait fait faire à Monsieur de Guise rendait excusable son fils si, n’ayant pu avoir justice, il en avait voulu prendre même vengeance, qu’aussi l’assassinat qu’avait fait ledit amiral de Charry, maître de camp de la garde du roi, personne si valeureuse et qui l’avait si fidèlement assistée durant sa régence et la puérilité dudit roi Charles, le rendait bien digne de tel traitement, [bref,] bien que telles paroles pussent faire juger au roi Charles que la vengeance de la mort dudit Charry n’était pas sortie du cœur de la reine ma mère, son âme passionnée de douleur de la perte des personnes qui, comme j’ai dit, il pensait un jour lui être utiles, occupa tellement son jugement, qu’il ne put modérer ni changer ce passionné désir d’en faire justice, et commanda toujours qu’on cherchât Monsieur de Guise, que l’on le prît, qu’il ne voulait point qu’un tel acte demeurât impuni.

Enfin comme Pardaillan découvrit par ses menaces au souper de la reine ma mère la mauvaise intention des huguenots, et que la reine vit que cet accident* avait mis les affaires en tels termes que, si l’on ne prévenait* leur dessein, la nuit même ils attenteraient contre le roi et elle, elle prit résolution de faire ouvertement entendre audit roi Charles la vérité de tout et le danger où il était, par Monsieur le maréchal de Retz, de qui elle savait qu’il le prendrait mieux que de tout autre, comme celui qui lui était plus confident* et plus favorisé de lui. Lequel le vint trouver en son cabinet le soir sur les neuf ou dix heures, et lui dit que, comme son serviteur très fidèle, il ne lui pouvait celer le danger où il était s’il continuait en la résolution qu’il avait de faire justice de Monsieur de Guise: pour ce qu’il fallait qu’il sût que le coup qui avait été fait de l’amiral n’avait point été fait par Monsieur de Guise seul, mais que mon frère le roi de Pologne, depuis roi de France, et la reine ma mère avaient été de la partie; qu’il savait l’extrême déplaisir que la reine ma mère reçut à l’assassinat de Charry, comme elle en avait très grande raison, ayant lors peu de tels serviteurs qui ne dépendissent que d’elle, étant, comme il savait, du temps de sa puérilité, toute la France partie*, les catholiques pour Monsieur de Guise, et les huguenots pour le prince de Condé, tendant et les uns et les autres à lui ôter sa couronne, qui ne lui avait été conservée, après Dieu, que par la prudence et vigilance de la reine sa mère, qui en cette extrémité ne s’était trouvée plus fidèlement assistée que dudit Charry; que dès lors, il savait qu’elle avait juré se venger dudit assassinat; qu’aussi voyait-il que ledit amiral ne serait jamais que très pernicieux en cet État, et que, quelque apparence qu’il fît de lui avoir de l’affection et vouloir servir Sa Majesté en Flandre, qu’il n’avait autre dessein que de troubler la France; que son dessein d’elle n’avait été en cet effet* que d’ôter cette peste de ce royaume, l’amiral seul, mais que le malheur avait voulu que Maurevert avait failli* son coup, et que les huguenots en étaient entrés en tel désespoir que, ne s’en prenant pas seulement à Monsieur de Guise, mais à la reine sa mère et au roi de Pologne son frère, ils croyaient aussi que ledit roi Charles [lui-même] en fût consentant, et avaient résolu de recourir aux armes la nuit même; de sorte qu’ils voyaient Sa Majesté en un très grand danger, fût ou des catholiques, à cause de Monsieur de Guise, ou des huguenots, pour les raisons susdites.

Le roi Charles, qui était très prudent, et qui avait été toujours très obéissant à la reine ma mère, et prince très catholique, voyant aussi de quoi il y allait, prit soudain résolution de se joindre à la reine sa mère, et se conformer à sa volonté, et garantir sa personne des huguenots par les catholiques, non sans toutefois extrême regret de ne pouvoir sauver Théligny, La Noue, et Monsieur de La Rochefoucauld. Et lors allant trouver la reine sa mère, envoya quérir Monsieur de Guise et tous les autres princes et capitaines catholiques, où fut pris résolution de faire, la nuit même, le massacre de la Saint-Barthélemy. Où mettant soudain la main à l’œuvre, toutes les chaînes tendues, le tocsin sonnant, chacun courut sus à son quartier, selon l’ordre donné, tant à l’amiral qu’à tous les huguenots. Monsieur de Guise donna au logis de l’amiral, à la chambre duquel Besme, gentilhomme allemand, étant monté, après l’avoir dagué le jeta par les fenêtres à son maître Monsieur de Guise.

Pour moi, l’on ne me disait rien de tout ceci. Je voyais tout le monde en action: les huguenots désespérés de cette blessure, Messieurs de Guise craignant qu’on en voulût faire justice, se chuchetant tous à l’oreille. Les huguenots me tenaient suspecte parce que j’étais catholique, et les catholiques parce que j’avais épousé le roi de Navarre, qui était huguenot. De sorte que personne ne m’en disait rien, jusques au soir qu’étant au coucher de la reine ma mère, assise sur un coffre auprès de ma sœur de Lorraine, que je voyais fort triste, la reine ma mère parlant à quelques-uns m’aperçut, et me dit que je m’en allasse coucher. Comme je lui faisais la révérence, ma sœur me prend par le bras et m’arrête, en se prenant fort à pleurer, et me dit: «Mon Dieu, ma sœur, n’y allez pas.» – ce qui m’effraya extrêmement. La reine ma mère s’en aperçut, et appela ma sœur, et s’en courrouça fort à elle, lui défendant de me rien dire. Ma sœur lui dit qu’il n’y avait point d’apparence* de m’envoyer sacrifier comme cela, et que sans doute, s’ils découvraient quelque chose, qu’ils se vengeraient sur moi. La reine ma mère répond que, s’il plaisait à Dieu, je n’aurais point de mal; mais quoi que ce fût il fallait que j’allasse, de peur de leur faire soupçonner quelque chose qui empêchât l’effet*. Je voyais bien qu’ils [elles] se contestaient et n’entendais pas leurs paroles. Elle me commanda encore rudement que je m’en allasse coucher. Ma sœur fondant en larmes me dit bonsoir, sans m’oser dire autre chose; et moi je m’en vais, toute transie et perdue, sans me pouvoir imaginer ce que j’avais à craindre.

Soudain que je fus en mon cabinet, je me mets à prier Dieu qu’il lui plût me prendre en sa protection, et qu’il me gardât, sans savoir de quoi ni de qui. Sur cela le roi mon mari, qui s’était mis au lit, me mande* que je m’allasse coucher, ce que je fis; et trouvai son lit entouré de trente ou quarante huguenots que je ne connaissais point encore, car il y avait fort peu de temps que j’étais mariée. Toute la nuit ils ne firent que parler de l’accident* qui était advenu à Monsieur l’amiral, se résolvant, dès qu’il serait jour, de demander justice au roi de Monsieur de Guise, et que si l’on ne la leur faisait, qu’ils se la feraient eux-mêmes. Moi, j’avais toujours dans le cœur les larmes de ma sœur, et ne pouvais dormir pour l’appréhension en laquelle elle m’avait mise sans savoir de quoi. La nuit se passa de cette façon sans fermer l’œil. Au point du jour, le roi mon mari dit qu’il voulait aller jouer à la paume attendant que le roi Charles serait éveillé, se résolvant soudain de lui demander justice. Il sort de ma chambre, et tous ses gentilshommes aussi. Moi, voyant qu’il était jour, estimant que le danger que ma sœur m’avait dit fût passé, vaincue du sommeil, je dis à ma nourrice qu’elle fermât la porte pour pouvoir dormir à mon aise.

Une heure après, comme j’étais plus* endormie, voici un homme frappant des pieds et des mains à la porte, criant: «Navarre! Navarre!» Ma nourrice, pensant que ce fût le roi mon mari, court vitement* à la porte et lui ouvre. Ce fut un gentilhomme nommé Monsieur de Léran, neveu de Monsieur d’Audon, qui avait un coup d’épée dans le coude et un coup d’hallebarde dans le bras, et était encore poursuivi de quatre archers qui entrèrent tous après lui en ma chambre. Lui, se voulant garantir, se jeta sur mon lit. Moi, sentant cet homme qui me tenait, je me jette à la ruelle, et lui après moi, me tenant toujours au travers du corps. Je ne connaissais point cet homme, et ne savais s’il venait là pour m’offenser, ou si les archers en voulaient à lui ou à moi. Nous criions tous deux, et étions aussi effrayés l’un que l’autre. Enfin Dieu voulut que Monsieur de Nançay, capitaine des gardes, y vint, qui me trouvant en cet état-là, encore qu’il y eût de la compassion, il ne se put tenir de rire; et se courrouçant fort aux archers de cette indiscrétion, il les fit sortir, et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenait, lequel je fis coucher et panser dans mon cabinet jusques à tant qu’il fût du tout guéri. Et changeant de chemise, parce qu’il m’avait toute couverte de sang, Monsieur de Nançay me conta ce qui se passait, et m’assura que le roi mon mari était dans la chambre du roi, et qu’il n’aurait point de mal. Et me faisant jeter un manteau de nuit sur moi, il m’emmena dans la chambre de ma sœur Madame de Lorraine, où j’arrivai plus morte que vive, où entrant dans l’antichambre, de laquelle les portes étaient toutes ouvertes, un gentilhomme nommé Bourse, se sauvant des archers qui le poursuivaient, fut percé d’un coup d’hallebarde à trois pas de moi. Je tombai de l’autre côté presque évanouie entre les bras de Monsieur de Nançay, et pensai que ce coup nous eût percés tous deux. Et étant quelque peu remise, entrant en la petite chambre où couchait ma sœur, comme j’étais là, Monsieur de Miossens, premier gentilhomme du roi mon mari, et Armagnac, son premier valet de chambre, m’y vinrent trouver pour me prier de leur sauver la vie. Je m’allai jeter à genoux devant le roi et la reine ma mère pour les leur demander – ce qu’en fin ils m’accordèrent.

Cinq ou six jours après, ceux qui avaient commencé cette partie, connaissant qu’ils avaient failli à leur principal dessein (n’en voulant point tant aux huguenots qu’aux princes du sang), portaient* impatiemment que le roi mon mari et le prince de Condé fussent demeurés, et connaissant qu’étant mon mari, que nul ne voudrait attenter contre lui, ils ourdissent une autre trame: ils vont persuader à la reine ma mère qu’il me fallait démarier. En cette résolution étant allée un jour de fête à son lever, que nous devions faire nos pâques, elle me prend à serment de lui dire vérité, et me demande si le roi mon mari était homme, me disant que si cela n’était, elle aurait moyen de me démarier. Je la suppliai de croire que je ne me connaissais pas en ce qu’elle me demandait. Aussi pouvais-je dire lors à la vérité comme cette Romaine, à qui son mari se courrouçant de ce qu’elle ne l’avait averti qu’il avait l’haleine mauvaise, lui répondit qu’elle croyait que tous les autres hommes l’eussent semblable, ne s’étant jamais approchée d’autre homme que de lui… Mais, quoi que ce fût, puisqu’elle m’y avait mise, j’y voulais demeurer, me doutant bien que ce l’on voulait m’en séparer était pour lui faire un mauvais tour.

[…]

Nous accompagnâmes le roi de Pologne jusques à Blamont, lequel, quelques mois avant que de partir de France, s’essaya par tous moyens de me faire oublier les mauvais offices de son ingratitude, et de remettre notre première amitié en la même perfection qu’elle avait été à nos premiers ans, m’y voulant obliger par serment et promesses en me disant adieu. Sa sortie de France et la maladie du roi Charles, qui commença presque en même temps, éveilla les esprits des deux partis de ce royaume, faisant divers projets sur cet État. Les huguenots, ayant à la mort de l’amiral fait obliger par écrit signé le roi mon mari et mon frère d’Alençon à la vengeance de cette mort, [et] ayant gagné avant la Saint-Barthélemy mondit frère sous espérance de l’établir en Flandre, leur persuadant, comme le roi et la reine ma mère reviendraient en France, [de] se dérober, passant en Champagne, pour se joindre à certaines troupes qui les devaient venir prendre là, Monsieur de Miossens, gentilhomme catholique qui était auprès du roi mon mari, lequel m’avait de l’obligation de la vie, ayant avis de cette entreprise qui était pernicieuse au roi son maître, m’en avertit pour empêcher ce mauvais effet* qui eût apporté tant de maux à eux et à cet État. Soudain, j’allai trouver le roi et la reine ma mère, et leur dis que j’avais chose à leur communiquer qui leur importait fort, et que je ne la leur dirais jamais qu’il ne leur plût me promettre que cela ne porterait aucun préjudice à ceux que je leur nommerais, et qu’ils y remédieraient sans faire semblant de rien savoir. Lors je leur dis que mon frère et le roi mon mari s’en devaient le lendemain aller rendre à des troupes d’huguenots qui les venaient chercher à cause de l’obligation qu’ils avaient faite à la mort de l’amiral, qui était bien excusable pour* leur enfance, et que je les suppliais leur pardonner, et, sans leur en montrer nulle apparence, les empêcher de s’en aller. Ce qu’ils m’accordèrent, et fut conduit par telle prudence que, sans qu’ils pussent savoir d’où leur venait cet empêchement, ils n’eurent jamais moyen d’échapper.

Cela étant passé, nous arrivâmes à Saint-Germain, où nous fîmes un grand séjour à cause de la maladie du roi; durant lequel temps, mon frère d’Alençon employait toutes sortes de recherches et moyens pour se rendre agréable à moi, afin que je lui vouasse amitié, comme j’avais fait au roi Charles. Car, jusques alors, pour ce qu’il avait toujours été nourri* hors de la Cour, nous ne nous étions pas guère vus, et n’avions pas grande familiarité. Enfin, m’y voyant conviée par tant de submissions et de sujétion et d’affection qu’il me témoignait, je me résolus de l’aimer et embrasser ce qui lui concernerait, mais toutefois avec telle condition que ce serait sans préjudice de ce que je devais au roi Charles mon bon frère, que j’honorais sur toutes choses. Il me continua cette bienveillance, me l’ayant témoignée jusques à sa fin.

Durant ce temps, la maladie du roi Charles augmentant toujours, les huguenots ne cessaient jamais de rechercher des nouvelletés, prétendant encore de retirer mon frère le duc d’Alençon et le roi mon mari de la Cour, ce qui ne vint à ma connaissance comme la première fois. Mais toutefois Dieu permit que La Mole le découvrit à la reine ma mère, si près de l’effet*, que les troupes des huguenots devaient arriver ce jour-là auprès de Saint-Germain. Nous fûmes contraints de partir deux heures après minuit, et mettre le roi Charles dans une litière pour gagner Paris, la reine ma mère mettant dans son chariot mon frère et le roi mon mari, qui cette fois-là ne furent traités si doucement que de l’autre. Car le roi s’en alla au bois de Vincennes, d’où il ne leur permit plus de sortir. Et le temps, augmentant toujours l’aigreur de ce mal, produisait toujours nouveaux avis au roi pour accroître la méfiance et mécontentement qu’il avait d’eux; en quoi les artifices de ceux qui avaient toujours désiré la ruine de notre Maison lui aidaient, que je crois, beaucoup.

Ces défiances passèrent si avant que Messieurs les maréchaux de Montmorency et de Cossé en furent retenus prisonniers au bois de Vincennes, et La Mole et le comte de Coconat en pâtirent de leur vie. Les choses en vinrent à tels termes que l’on députa commissaires de la cour de Parlement pour ouïr mon frère et le roi mon mari, lequel n’ayant lors personne de conseil auprès de lui, me commanda de dresser par écrit ce qu’il aurait à répondre, afin que par ce qu’il dirait, il ne mît ni lui ni personne en peine. Dieu me fit la grâce de le dresser si bien qu’il en demeura satisfait, et les commissaires étonnés de le voir si bien préparé. Et voyant que, par la mort de La Mole et du comte de Coconat, ils se trouvaient chargés en sorte que l’on craignait [pour] leur vie, je me résolus, encore que je fusse bien auprès du roi Charles qui n’aimait rien au monde tant que moi, pour leur sauver la vie, de perdre ma fortune, ayant délibéré, comme je sortais et entrais librement en coche sans que les gardes regardassent dedans ni que l’on fît ôter le masque à mes femmes, d’en déguiser l’un d’eux en femme, et le sortir dans ma coche. Et pour ce qu’ils ne pouvaient tous deux ensemble à cause qu’ils étaient trop éclairés des gardes, et qu’il suffisait qu’il y en eût un dehors pour assurer la vie de l’autre, jamais ils ne se purent accorder lequel c’est qui sortirait, chacun voulant être celui-là, et nul ne voulant demeurer, de sorte que ce dessein ne se put exécuter. Mais Dieu y remédia par un moyen bien misérable pour moi, car il me priva du roi Charles, tout l’appui et support de ma vie, un frère duquel je n’avais reçu que bien, et qui en toutes les persécutions que mon frère d’Anjou me fit à Angers m’avait toujours assistée, et avertie, et conseillée. Bref je perdais en lui tout ce que je pouvais perdre.

Après ce désastre, malheur pour la France et pour moi, nous allâmes à Lyon au devant du roi de Pologne, lequel, possédé encore par Le Guast, rendit de mêmes causes mêmes effets. Et croyant aux avis de ce pernicieux esprit qu’il avait laissé en France pour maintenir son parti, conçut extrême jalousie contre mon frère d’Alençon, ayant pour suspecte et portant* impatiemment l’union de lui et du roi mon mari, estimant que j’en fusse le lien et seul moyen qui maintenait leur amitié, et que les plus propres expédients pour les diverser* étaient, d’un côté, de me brouiller et mettre en mauvais ménage avec le roi mon mari, et d’autre, de faire que Madame de Sauve, qu’ils servaient* tous deux, les ménagerait tous deux de telle façon qu’ils entrassent en extrême jalousie l’un de l’autre. Cet abominable dessein, source et origine de tant d’ennuis*, de traverses* et de maux que mon frère et moi avons depuis soufferts, fut poursuivi avec autant d’animosité, de ruses et d’artifice qu’il avait été pernicieusement inventé.

Quelques-uns tiennent que Dieu a en particulière protection les grands*, et qu’aux esprits où il reluit quelque excellence non commune, il leur donne par des bons génies, quelques secrets avertissements des accidents* qui leur sont préparés, ou en bien ou en mal, comme à la reine ma mère, que justement l’on peut mettre de ce nombre, il s’en est vu plusieurs exemples. Même la nuit devant la misérable course en lice, elle songea comme elle voyait le feu roi mon père blessé à l’œil, comme il fut; et étant éveillée, elle le supplia plusieurs fois de ne vouloir point courir ce jour, et vouloir se contenter de voir le plaisir du tournoi, sans en vouloir être. Mais l’inévitable destinée ne permit tant de bien à ce royaume qu’il pût recevoir cet utile conseil. Elle n’a aussi jamais perdu aucun de ses enfants qu’elle n’ait vu une fort grande flamme, à laquelle soudain elle s’écriait: «Dieu garde mes enfants!»; et incontinent* après, elle entendait la triste nouvelle qui par ce feu lui avait été augurée.

En sa maladie de Metz où, par une fièvre pestilentielle et charbon, elle fut à l’extrémité (qu’elle avait prise allant visiter les religions* de femmes, comme il y en a beaucoup en cette ville-là, lesquelles avaient été depuis peu infectées de cette contagion), de quoi elle fut garantie miraculeusement, Dieu la redonnant à cet État qui en avait encore tant de besoin (par la diligence de Monsieur Castelan son médecin, qui, nouveau Esculape, fit lors une signalée preuve de l’excellence de son art), elle, rêvant* (et étant assistée autour de son lit du roi Charles mon frère, et de ma sœur et de mon frère de Lorraine, de plusieurs de Messieurs du conseil et de force dames et princesses, qui, la tenant hors d’espérance, ne l’abandonnaient point), s’écrie, continuant ses rêveries*, comme si elle eût vu donner la bataille de Jarnac: «Voyez comme ils fuient! Mon fils a la victoire! Hé, mon Dieu, relevez mon fils, il est par terre! Voyez, voyez, dans cette haie, le prince de Condé mort!» Tous ceux qui étaient là croyaient qu’elle rêvait* et que, sachant que mon frère d’Anjou était en terme de donner la bataille, elle n’eût que cela en tête. Mais la nuit après, Monsieur de Losse lui en apportant la nouvelle comme chose très désirée (en quoi il pensait beaucoup mériter): «Vous êtes fâcheux, lui dit-elle, de m’avoir éveillée pour cela. Je le savais bien. Ne l’avais-je pas vu devant hier?» Lors on reconnut que ce n’était point rêverie* de la fièvre, mais un avertissement particulier que Dieu donne aux personnes illustres et rares. L’Histoire nous en fournit tant d’exemples aux anciens païens, comme le fantôme de Brutus et plusieurs autres, que je ne décrirai – n’étant mon intention d’orner ces Mémoires, ains* seulement narrer la vérité, et les avancer promptement, afin que plus tôt vous les receviez.

De ces divins avertissements je ne me veux estimer digne. Toutefois, pour ne me taire comme ingrate des grâces que j’ai eues de Dieu (que je dois et veux confesser toute ma vie pour lui en rendre grâces, et faire que chacun le loue aux merveilles des effets de sa puissance, bonté et miséricorde qu’il lui a plu faire en moi), j’avouerai n’avoir jamais été proche de quelques signalés accidents*, ou sinistres ou heureux, que je n’en aie eu quelque avertissement, ou en songe ou autrement. Et puis bien dire ce vers: De mon bien ou mon mal mon esprit m’est oracle. Ce que j’éprouvai lors de l’arrivée du roi de Pologne: la reine ma mère étant allée au devant de lui, cependant qu’ils s’embrassaient et faisaient les réciproques bienvenues, bien que ce fût en un temps si chaud qu’en la presse où nous étions on s’étouffait, il me prit un frisson si grand, avec un tremblement si universel, que celui qui m’aidait s’en aperçut. J’eus beaucoup de peine à le cacher, quand, après avoir laissé la reine ma mère, le roi vint à me saluer.

Cet augure me toucha au cœur. Toutefois il se passa quelques jours sans que le roi découvrit la haine et le mauvais dessein que le malicieux* Guast lui avait fait concevoir contre moi par les rapports qu’il lui avait faits: que depuis la mort du roi j’avais tenu le parti de mon frère d’Alençon en son absence, et l’avais fait affectionner au roi mon mari. Parquoi, épiant toujours une occasion pour parvenir à l’intention prédite de rompre l’amitié de mon frère d’Alençon et du roi mon mari, en nous mettant en mauvais ménage le roi mon mari et moi, et les brouillant tous deux sur le sujet de la jalousie de leur commun amour de Madame de Sauve, une après-dînée*, la reine ma mère étant entrée en son cabinet pour faire quelques longues dépêches, Madame de Nevers, votre cousine Madame de Retz, aussi votre cousine Bourdeille et Surgères me demandèrent si je me voulais aller promener à la ville. Sur cela Madamoiselle de Montigny, nièce de Madame d’Uzès, nous dit que l’abbaye de Saint-Pierre était une fort belle religion*. Nous résolûmes d’y aller. Elle nous pria qu’elle vînt avec nous, parce qu’elle y avait une tante, et que l’entrée n’y est pas libre sinon qu’avec les grandes*. Elle y vint. Et comme nous montions en chariot, encore qu’il fût tout plein de nous six et de Madame de Curton ma dame d’honneur (qui allait toujours avec moi) et de Thorigny, Liancourt, premier écuyer du roi, et Camille s’y trouvèrent, qui se jetèrent sur les portières du chariot. Eux néanmoins, tenant sur les portières comme ils purent, et gaussant, comme ils étaient d’humeur bouffonne, dirent qu’ils voulaient venir voir ces belles religieuses. La compagnie de Madamoiselle de Montigny, qui ne nous était aucunement familière, et d’eux deux qui étaient confidents* du roi, fut, que je crois, une providence de Dieu pour me garantir de la calomnie que l’on me voulait imputer.

Nous allâmes à cette religion*, et mon chariot, qui était assez reconnaissable pour être doré [et] de velours jaune [garni] d’argent, nous attendit à la place, autour de laquelle y avait plusieurs gentilshommes logés. Pendant que nous étions dans Saint-Pierre, le roi ayant seulement avec lui le roi mon mari, d’O et le gros Ruffé, s’en allant voir Caylus qui était malade, passant par cette place [et] voyant mon chariot vide, il se tourne vers le roi mon mari et lui dit: «Voyez, voilà le chariot de votre femme, et voilà le logis de Bidé», qui était lors malade (ainsi nommait-il aussi celui qui a depuis servi* votre cousine). «Je gage, dit-il, qu’elle y est.» Et commanda au gros Ruffé, instrument propre de telle malice, pour être ami du Guast, d’y aller voir; lequel n’y ayant trouvé personne, et ne voulant toutefois que cette vérité empêchât le dessein du roi, lui dit tout haut devant le roi mon mari: «Les oiseaux y ont été, mais ils n’y sont plus.» Cela suffit assez pour donner sujet d’entretenir jusques au logis le roi mon mari, par tout ce qu’il pensait lui pouvoir donner de la jalousie, pour avoir mauvaise opinion de moi. Mais mon mari, témoignant en cela la bonté et l’entendement de quoi il s’est toujours montré accompagné, détestant en son cœur cette malice, jugea aisément à quelle fin il le faisait. Et le roi se hâtant de retourner avant moi pour persuader à la reine ma mère cette invention et m’en faire recevoir un affront, j’arrivai [alors] qu’il avait eu tout loisir de faire ce mauvais effet*, et que même la reine ma mère en avait parlé fort étrangement devant des dames, partie pour créance*, partie pour plaire à ce fils qu’elle idolâtrait.

Moi revenant après, sans savoir rien de tout ceci, j’allai descendre en ma chambre avec toute la troupe susdite qui m’avait accompagnée à Saint-Pierre. J’y trouvai le roi mon mari, qui soudain qu’il me vit se prit à rire: «Allez chez la reine votre mère, que je m’assure que vous en reviendrez bien en colère.» Je lui demandai pourquoi, et ce qu’il y avait. Il me dit: «Je ne le vous dirai pas, mais suffise [à] vous que je n’en crois rien, et que ce sont inventions pour nous brouiller vous et moi, pensant par ce moyen me séparer de l’amitié de Monsieur votre frère.» Voyant que je n’en pouvais tirer autre chose, je m’en vais chez la reine ma mère. Entrant en la salle, je trouvai Monsieur de Guise, qui, prévoyant, n’était pas marri de la division qu’il voyait arriver en notre Maison, espérant bien que du vaisseau brisé il en recueillerait les pièces. Il me dit: «Je vous attendais ici pour vous avertir que le roi vous a prêté une dangereuse charité.» Et me fit tout le discours susdit, qu’il avait appris de d’O, qui, étant lors fort ami de votre cousine, l’avait dit à Monsieur de Guise pour nous en avertir. J’entrai en la chambre de la reine ma mère, où elle n’était pas. Je trouvai Madame de Nemours, et toutes les autres princesses et dames, qui me dirent: «Mon Dieu, Madame, la reine votre mère est en si grande colère contre vous, je ne vous conseille pas de vous présenter devant elle. — Non, ce dis-je, si j’avais fait ce que le roi lui a dit; mais en étant du tout innocente, il faut que je lui parle pour l’en éclaircir.» J’entre dans son cabinet, qui n’était fait que d’une cloison de bois, de sorte que l’on pouvait aisément entendre de la chambre tout ce qui se disait. Soudain qu’elle me voit, elle commence à jeter feu, et à dire tout ce qu’une colère outrée et démesurée peut jeter dehors. Je lui représente la vérité, et que nous étions dix à douze, et la suppliai de les enquérir; et ne croire pas celles qui m’étaient amies et familières, mais seulement Madamoiselle de Montigny, qui ne me hantait* point, et Liancourt et Camille, qui ne dépendaient que du roi. Elle n’a point d’oreilles pour la vérité ni pour la raison, elle n’en veut point recevoir (fût pour être préoccupée du faux, ou pour complaire à ce fils que d’affection, de devoir, d’espérance et de crainte elle idolâtrait), et ne cesse de taxer, crier et menacer. Et [moi] lui disant que cette charité m’avait été prêtée par le roi, elle se met encore plus en colère, me voulant faire croire que c’était un sien valet de chambre qui, passant par là, m’y avait vue. Et voyant que cette couverture* était grossière, et que je ne la recevais, et restais infiniment offensée du roi, cela la tourmentait et aigrissait davantage – ce qui était ouï de sa chambre toute pleine de gens.

Sortant de là avec le dépit que l’on peut penser, je trouve en ma chambre le roi mon mari. «Eh bien, n’avez-vous pas trouvé ce que je vous avais dit?» Et me voyant si affligée: «Ne vous tourmentez pas de cela, dit-il. Liancourt et Camille se trouveront au coucher du roi, qui lui diront le tort qu’il vous a fait; et m’assure que demain, la reine votre mère sera bien empêchée* à faire les accords.» Je lui dis: «Monsieur, j’ai reçu un affront trop public de cette calomnie pour pardonner à ceux qui me l’ont causé; mais toutes les injures ne me sont rien au prix* du tort qu’on m’a voulu faire, me voulant procurer un si grand malheur de me vouloir mettre mal avec vous.» Il me répondit: «Il s’y est, Dieu merci, failli.» Je lui dis: «Oui, Dieu merci, et votre bon naturel. Mais de ce mal, si* faut-il que nous en tirions un bien. Que ceci nous serve d’avertissement à l’un et à l’autre pour avoir l’œil ouvert à tous les artifices que le roi pourra faire pour nous mettre mal ensemble. Car il faut croire, puisqu’il a ce dessein, qu’il ne s’arrêtera pas à cettui-ci, et ne cessera qu’il n’ait rompu l’amitié de mon frère et de vous.» Sur cela, mon frère arriva, et les fis par nouveaux serments obliger à la continuation de leur amitié. Mais quel serment peut valoir en amour?

Le lendemain matin, un banquier italien qui était serviteur de mon frère pria mondit frère, le roi mon mari et moi, et plusieurs autres princesses et dames, d’aller dîner* en un beau jardin qu’il avait à la ville. Moi, ayant toujours gardé ce respect à la reine ma mère, tant que j’ai été auprès d’elle, fille ou mariée, de n’aller en un lieu sans lui en demander congé*, je l’allai trouver en la salle, revenant de la messe, pour avoir sa permission pour aller à ce festin. Elle, me faisant un refus public, me dit que j’allasse où je voudrais, qu’elle ne s’en souciait pas. Si cet affront fut ressenti d’un courage* comme le mien, je le laisse à juger à ceux qui, comme vous, ont connu mon humeur. Pendant que nous étions en ce festin, le roi, qui avait parlé à Liancourt et Camille, et à Madamoiselle de Montigny, connut l’erreur où la malice du gros Ruffé l’avait fait tomber; et ne se trouvant moins en peine à la rhabiller* qu’il avait été prompt à la recevoir et à la publier*, venant trouver la reine ma mère, lui confessa le vrai, et la pria de rhabiller* cela en quelque façon que je ne lui demeurasse pas ennemie, craignant fort, parce qu’il me voyait avoir de l’entendement, que je ne m’en susse plus à propos revancher qu’il ne m’avait su offenser. Revenus que nous fûmes du festin, la prophétie du roi mon mari fut véritable. La reine ma mère m’envoya quérir en son cabinet de derrière, qui était proche de celui du roi, où elle me dit qu’elle avait su la vérité de tout, et que je lui avais dit vrai, qu’il n’était rien de tout ce que le valet de chambre qui lui avait fait ce rapport lui avait dit, que c’était un mauvais homme, qu’elle le chasserait. Et connaissant à ma mine que je ne recevais pas cette couverture*, elle s’efforça par tous moyens de m’ôter l’opinion que ce fût le roi qui m’eût prêté cette charité. Et voyant qu’elle n’y avançait rien, le roi entra dans le cabinet, qui m’en fit force excuses, disant qu’on le lui avait fait accroire, et me faisant toutes les satisfactions et démonstrations d’amitié qui se pouvaient faire.

Cela passé, après avoir demeuré quelque temps à Lyon, nous allâmes à Avignon. Le Guast, n’osant plus inventer de telles impostures et voyant que je ne lui donnais aucune prise en mes actions par la jalousie, pour me mettre mal avec le roi mon mari et ébranler l’amitié de mon frère et de lui, il se servit de l’autre voie, qui était de Madame de Sauve, la gagnant tellement qu’elle se gouvernait du tout par lui, et usant de ses instructions non moins pernicieuses que celles de la Célestine. En peu de temps, elle eût rendu l’amour de mon frère et du roi mon mari, auparavant tiède et lente comme celle de personnes si jeunes, en une telle extrémité, oubliant toute ambition, tout devoir et tout dessein, qu’ils n’avaient plus autre chose en l’esprit que la recherche* de cette femme. Et en viennent à une si grande et véhémente jalousie l’un de l’autre, qu’encore qu’elle fût recherchée de Monsieur de Guise, du Guast, de Souvray et plusieurs autres, qui étaient tous plus aimés d’elle qu’eux, ils ne s’en souciaient pas, et ne craignaient ces deux beaux-frères que la recherche* de l’un et de l’autre! Et cette femme, pour mieux jouer son jeu, persuade au roi mon mari que j’en étais jalouse, et que pour cette cause je tenais le parti de mon frère! Nous croyons aisément ce qui nous est dit par personnes que nous aimons… Il prend cette créance*, il s’éloigne de moi, et s’en cache plus que de tout autre, ce que jusques alors il n’avait fait. Car, quoi qu’il en eût à la fantaisie, il m’en avait toujours parlé aussi librement qu’à une sœur, connaissant bien que je n’en étais aucunement jalouse, ne désirant que son contentement.

Moi, voyant ce que j’avais le plus craint être advenu, qui était l’éloignement de sa bonne grâce, pour* la privation de la franchise de quoi il avait usé jusques alors avec moi, et que la méfiance, qui prive de la familiarité, est le principe de la haine (soit entre parents ou amis), et connaissant d’ailleurs que, si je pouvais divertir mon frère de l’affection de Madame de Sauve, j’ôterais le fondement de l’artifice que Le Guast avait fabriqué à notre division et ruine susdite, à l’endroit de mon frère j’usai de tous les moyens que je pus pour l’en tirer – ce qui eût servi tout autre, qui n’eût eu l’âme fascinée par l’amour et la ruse de si fines personnes. Mon frère, qui en toutes choses ne croyait rien que moi, ne put jamais se regagner soi-même pour son salut et le mien, tant forts étaient les charmes de cette Circé, aidée de ce diabolique esprit du Guast; de façon qu’au lieu de tirer profit de mes paroles, il les redisait toutes à cette femme. Que peut-on celer à celui que l’on aime? Elle s’en animait contre moi et servait avec plus d’affection au dessein du Guast, et pour s’en venger disposait toujours davantage le roi mon mari à me haïr et s’étranger* de moi, de sorte qu’il ne me parlait presque plus. Il revenait de chez elle fort tard, et pour l’empêcher de me voir elle lui commandait de se trouver au lever de la reine, où elle était sujette d’aller; et après, tout le jour, il ne bougeait plus d’avec elle. Mon frère ne rapportait moins de soin à la rechercher*, elle leur faisant accroire à tous deux qu’ils étaient uniquement* aimés d’elle – ce qui n’avançait moins leur jalousie et leur division que ma ruine.

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