MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

Un site présenté par Eliane Viennot


accueil
vie
légende
œuvres dédiées
bibliographie
Les ami·es de Marguerite

Texte établi par Éliane Viennot

Notes, indications d'années, introductions et glossaires (mots marqués d'un *) dans les éditions suivantes :

• Marguerite de Valois, Mémoires et autres écrits, 1574-1614. Paris, H. Champion, 1998

• Marguerite de Valois, Mémoires et discours. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005 — Acheter en ligne

Le texte ci-dessous est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France

<<<

années 1569-1571••>>>

Au règne du magnanime roi Charles mon frère, quelques années après le retour du grand voyage, les huguenots ayant recommencé la guerre, le roi et la reine ma mère étant à Paris, un gentilhomme de mon frère d’Anjou, qui depuis a été roi de France, arriva de sa part pour les avertir qu’il avait réduit l’armée des huguenots à telle extrémité qu’il espérait qu’ils seraient contraints venir dans peu de jours à la bataille; et qu’il les suppliait, avant cela, qu’il eût cet honneur de les voir pour leur rendre compte de sa charge, afin que, si la Fortune, envieuse de sa gloire (qu’en si jeune âge il avait acquise), voulait en cette désirée journée, après avoir fait un bon service au roi et à sa religion et à cet État, joindre le triomphe de sa victoire à celui de ses funérailles, il partît de ce monde avec moins de regret, les ayant laissés tous deux satisfaits en la charge qu’ils lui avaient fait l’honneur de lui commettre; de quoi il s’estimerait plus glorieux que de deux trophées qu’il avait acquis par ses deux premières victoires. Si ces paroles touchèrent au cœur d’une si bonne mère, qui ne vivait que pour ses enfants, abandonnant à toute heure sa vie pour conserver la leur et leur État, et qui sur tous chérissait cettui-là, vous le pouvez juger.

Soudain elle se résolut de partir avec le roi, le menant avec elle, et des femmes la petite troupe accoutumée, Madame de Retz, Madame de Sauve et moi. Étant portée des ailes du désir et de l’affection maternelle, elle fit le chemin de Paris à Tours en trois jours et demi, qui ne fut sans incommodité et beaucoup d’accidents* dignes de risée, pour y être le pauvre Monsieur le cardinal de Bourbon, qui ne l’abandonnait jamais, qui toutefois n’était de taille, d’humeur ni de complexion pour telles corvées. Arrivant au Plessis-lès-Tours, mon frère d’Anjou s’y trouva avec les principaux chefs de son armée, qui étaient la fleur des princes et seigneurs de France, en la présence desquels il fit une harangue au roi, pour lui rendre raison de tout le maniement de sa charge depuis qu’il était parti de la Cour, faite avec tant d’art et d’éloquence, et dite avec tant de grâce qu’il se fit admirer de tous les assistants – et d’autant plus que sa grande jeunesse relevait et faisait davantage paraître la prudence de ses paroles (plus convenables à une barbe grise et à un vieux capitaine qu’à une adolescence de seize ans, à laquelle les lauriers de deux batailles gagnées lui ceignaient déjà le front), et que la beauté, qui rend toutes actions agréables, florissait tellement en lui qu’il semblait qu’elle fît à l’envi* avec sa bonne fortune [pour voir] laquelle des deux le rendrait plus glorieux.

Ce qu’en ressentait ma mère, qui l’aimait uniquement*, ne se peut représenter par paroles, non plus que le deuil du père d’Iphigénie; et à toute autre qu’à elle, de l’âme de laquelle la prudence ne désempara jamais, l’on eût aisément connu le transport qu’une si excessive joie lui causait. Mais elle, modérant ses actions comme elle voulait, montrant apparemment* que le discret ne fait rien qu’il ne veuille faire, sans s’amuser à publier* sa joie et pousser ses louanges dehors (qu’une action si belle d’un fils si parfait et chéri méritait), elle prit seulement les points de sa harangue qui concernaient les faits de la guerre, pour en faire délibérer aux princes et seigneurs là présents, et y prendre une bonne résolution, et pourvoir aux choses nécessaires pour la continuation de cette guerre – à la disposition de quoi il fut nécessaire passer quelques jours en ce lieu. Un desquels, la reine ma mère se promenant dans le parc avec quelques princes, mon frère d’Anjou me pria que nous nous promenassions en une allée à part, où étant il me parla ainsi:

«Ma sœur, la nourriture que nous avons prise ensemble ne nous oblige moins à nous aimer que la proximité*. Aussi avez-vous pu connaître qu’entre tous ceux que nous sommes de frères, j’ai toujours eu plus d’inclination de vous vouloir du bien qu’à tout autre; et ai reconnu aussi que votre naturel vous portait à me rendre même amitié. Nous avons été jusques ici naturellement guidés à cela sans aucun dessein, et sans que telle union nous apportât aucune utilité que le seul plaisir que nous avions de converser ensemble. Cela a été bon pour notre enfance; mais à cette heure il n’est plus temps de vivre en enfance. Vous voyez les grandes et belles charges où Dieu m’a appelé, et où la reine notre bonne mère m’a élevé. Vous devez croire que, vous étant la chose du monde que j’aime et chéris le plus, que je n’aurai jamais grandeurs ni biens à quoi vous ne participiez. Je vous reconnais assez d’esprit et de jugement pour me pouvoir beaucoup servir auprès de la reine ma mère, pour me maintenir en la fortune où je suis. Or mon principal appui est d’être conservé en sa bonne grâce. Je crains que l’absence m’y nuise, et toutefois la guerre et la charge que j’ai me contraignent d’en être presque toujours éloigné. Cependant, le roi mon frère est toujours auprès d’elle, la flatte, et lui complaît en tout: je crains qu’à la longue cela me porte préjudice, et que le roi mon frère devenant grand, étant courageux comme il est, ne s’amuse [pas] toujours à la chasse, mais devenant ambitieux, veuille changer celle des bêtes à celle des hommes, m’ôtant la charge de lieutenant de roi qu’il m’a donnée pour aller lui-même aux armées. Ce qui me serait une ruine et déplaisir si grand, qu’avant que recevoir une telle chute j’élirais plutôt une cruelle mort. En cette appréhension, songeant les moyens d’y remédier, je trouve qu’il m’est nécessaire d’avoir quelque personne très fidèle qui tienne mon parti auprès de la reine ma mère. Je n’en connais point de si propre comme* vous, que je tiens comme un second moi-même. Vous avez toutes les parties qui s’y peuvent désirer: l’esprit, le jugement, et la fidélité. Pourvu que me vouliez tant obliger que d’y apporter de la sujétion – vous priant d’être toujours à son lever, à son cabinet, et à son coucher, et bref tout le jour –, cela la conviera de se communiquer à vous, avec ce que je lui témoignerai votre capacité, et la consolation et service qu’elle en recevra; et la supplierai de ne plus vivre avec vous comme [avec] un enfant, mais de s’en servir en mon absence comme de moi. Ce que je m’assure qu’elle fera. Perdez cette timidité, parlez-lui avec assurance comme vous faites à moi, et croyez qu’elle vous aura agréable. Ce vous sera un grand heur et honneur d’être aimée d’elle. Vous ferez beaucoup pour vous; et pour moi, je tiendrai de vous, après Dieu, la conservation de ma bonne fortune.»

Ce langage me fut fort nouveau, pour avoir jusques alors vécu sans dessein, ne pensant qu’à danser ou aller à la chasse, n’ayant même la curiosité* de m’habiller ni de paraître belle, pour n’être encore en l’âge de telle ambition, et avoir été nourrie* avec telle crainte auprès de la reine ma mère que, non seulement je ne lui osais parler, mais quand elle me regardait je transissais, de peur d’avoir fait chose qui lui déplût. Peu s’en fallut que je ne lui répondisse, comme Moïse à Dieu en la vision du buisson: «Que suis-je, moi? Envoie celui que tu dois envoyer.» Toutefois, trouvant en moi ce que je ne pensais qui y fût (des puissances excitées par l’objet de ses paroles, qui auparavant m’étaient inconnues, bien que [je fusse] née avec assez de courage en moi), revenue de ce premier étonnement, ces paroles me plurent; et me semblait à l’instant que j’étais transformée, et que j’étais devenue quelque chose de plus que je n’avais été jusques alors. Je commençai à prendre confiance de moi-même, et lui dis: «Mon frère, si Dieu me donne la capacité et l’hardiesse de parler à la reine ma mère, comme j’ai la volonté de vous servir en ce que désirez de moi, ne doutez point que vous n’en retiriez l’utilité et le contentement que vous vous en êtes proposé. Pour la sujétion, je la lui rendrai telle, que vous connaîtrez que je préfère votre bien à tous les plaisirs du monde. Vous avez raison de vous assurer de moi, car rien au monde ne vous honore et aime tant que moi. Faites-en état, et qu’étant auprès de la reine ma mère vous y serez vous-même, et que je n’y serai que pour vous.»

Je proférai ces paroles trop mieux du cœur que de la bouche, ainsi que les effets* le témoignèrent; car étant parties de là, la reine ma mère m’appela à son cabinet et me dit: «Votre frère m’a dit les discours que vous aviez eus ensemble. Il ne vous tient pour enfant, aussi ne le veux-je plus faire: ce me sera un grand plaisir de vous parler comme à votre frère. Rendez-vous sujette auprès de moi, et ne craignez point de me parler librement, car je le veux ainsi.» Ces paroles firent ressentir à mon âme ce qu’elle n’avait jamais ressenti: un contentement si démesuré, qu’il me semblait que tous les plaisirs que j’avais eus jusques alors n’étaient que l’ombre de ce bien. Regardant au passé d’un œil dédaigneux les exercices de mon enfance, la danse, la chasse, et les compagnies de mon âge, les méprisant comme choses trop folles et trop vaines, j’obéis à cet agréable commandement, ne manquant un seul jour d’être des premières à son lever et des dernières à son coucher. Elle me faisait cet honneur de me parler quelquefois deux ou trois heures, et Dieu me faisait cette grâce qu’elle restait si satisfaite de moi, qu’elle ne s’en pouvait assez louer à ses femmes. Je lui parlais toujours de mon frère, et le tenais, lui, averti de tout ce qui se passait avec tant de fidélité que je ne respirais autre chose que sa volonté.

Je fus en cette heureuse condition quelque temps auprès de la reine ma mère, durant lequel la bataille de Moncontour se bailla, avec la nouvelle de laquelle mon frère d’Anjou, qui ne tendait qu’à être toujours près de la reine ma mère, lui manda* qu’il s’en allait assiéger Saint-Jean-d’Angély, et que la présence du roi et d’elle serait nécessaire en ce siège-là. Elle, plus désireuse que lui de le voir, se résout soudain de partir, ne menant avec elle que la troupe ordinaire, de laquelle j’étais; et y allais d’une joie extrêmement grande, sans prévoir le malheur que la Fortune m’y avait préparé. Trop jeune que j’étais, et sans expérience, je n’avais à suspecte cette prospérité! Et pensant le bien duquel je jouissais permanent, sans me douter d’aucun changement, j’en faisais état assuré! Mais l’envieuse Fortune, qui ne put supporter la durée d’une si heureuse condition, me préparait autant d’ennui* à cette arrivée que je m’y promettais de plaisir, par la fidélité de laquelle je pensais avoir obligé mon frère.

Mais depuis qu’il était parti, il avait proche de lui Le Guast, duquel il était tellement possédé qu’il ne voyait que par ses yeux et ne parlait que par sa bouche. Ce mauvais homme, né pour mal faire, soudain fascina son esprit, le remplit de mille tyranniques maximes: qu’il ne fallait aimer ni fier qu’à soi-même, qu’il ne fallait joindre personne à sa fortune, non pas même ni frère ni sœur, et autres tels beaux préceptes machiavélistes… Lesquels imprimant en son esprit, et résolvant les pratiquer, soudain que nous fûmes arrivées, après les premières salutations ma mère commença à se louer de moi et lui dire combien fidèlement je l’avais servi auprès d’elle, il lui répondit froidement qu’il était bien aise qu’il lui eût bien réussi, l’en ayant suppliée; mais que la prudence ne permettait pas que l’on se pût servir de mêmes expédients en tout temps, que qui était nécessaire à une certaine heure pourrait être nuisible à une autre. Elle lui demanda pourquoi il disait cela. Sur ce sujet, lui, voyant [venu] le temps de l’invention* qu’il avait fabriquée pour me ruiner, lui dit que je devenais belle, et qu’il savait que Monsieur de Guise me voulait rechercher*, et que ses oncles aspiraient à me le faire épouser; que si je venais à y avoir de l’affection, qu’il serait à craindre que je lui découvrisse tout ce qu’elle me dirait; qu’elle savait l’ambition de cette Maison-là, et combien elle avait toujours traversé* la nôtre; [que] pour cette occasion il serait bon qu’elle ne me parlât plus d’affaires, et que peu à peu elle se retirât de se familiariser avec moi.

Dès le soir même, je reconnus le changement que ce pernicieux conseil avait fait en elle. Et voyant qu’elle craignait de me parler devant mon frère, m’ayant commandé trois ou quatre fois, cependant qu’elle parlait à lui, de m’aller coucher, j’attendis qu’il fût sorti de sa chambre; puis, m’approchant d’elle, je la suppliai de me dire si, par ignorance, j’avais été si malheureuse d’avoir fait chose qui lui eût déplu. Elle me le voulut du commencement dissimuler. Enfin, elle me dit: «Ma fille, votre frère est sage; il ne faut pas que lui en sachiez mauvais gré de ce que je vous dirai, qui ne tend qu’à bien.» Et me fit tout ce discours, me commandant que je ne lui parlasse plus devant mon frère. Ces paroles me furent autant de pointes dans le cœur, que les premières, lorsqu’elle me reçut en sa bonne grâce, m’avaient été de joie. Je n’omis rien à lui représenter de mon innocence, que c’était chose de quoi je n’avais jamais ouï parler, et [que] quand il aurait ce dessein, il ne m’en parlerait jamais que soudain je ne l’en avertisse. Mais je n’avançai rien. L’impression des paroles de mon frère lui avait tellement occupé l’esprit qu’il n’y avait plus lieu pour aucune raison ni vérité. Voyant cela, je lui dis que je ressentais moins le mal de la perte de mon bonheur, que j’avais senti le bien de son acquisition; que mon frère me l’ôtait comme il me l’avait donné, car il me l’avait fait avoir sans mérite, m’avouant* lorsque je n’en étais pas digne, et qu’il m’en privait aussi sans l’avoir démérité, sur un sujet imaginaire qui n’avait nul être qu’en la fantaisie; que je la suppliais de croire que je conserverais immortelle la souvenance du tort que mon frère me faisait. Elle s’en courrouça, me commandant de ne lui en montrer nulle apparence.

Depuis ce jour-là, elle alla toujours me diminuant sa faveur, faisant de son fils son idole, le voulant contenter en cela et en tout ce qu’il désirait d’elle. Cet ennui* me pressant le cœur et possédant toutes les facultés de mon âme, rendant mon corps plus propre à recevoir la contagion du mauvais air qui était lors en l’armée, je tombai à quelques jours de là extrêmement malade d’une grande fièvre continue et du pourpre, maladie qui courait lors et qui avait en même temps emporté les deux premiers médecins du roi et de la reine, Chappelain et Castelan, comme se voulant prendre aux bergers pour avoir meilleur marché du troupeau. Aussi en échappa-t-il fort peu de ceux qui en furent atteints. Moi étant en cette extrémité, la reine ma mère, qui en savait une partie de la cause, n’omettait rien pour me faire secourir, prenant la peine, sans craindre le danger, d’y venir à toute heure, ce qui soulageait bien mon mal; mais la dissimulation de mon frère me l’augmentait bien autant, qui, après m’avoir fait une si grande trahison et rendu un telle ingratitude, ne bougeait jour et nuit du chevet de mon lit, me servant aussi officieusement que si nous eussions été au temps de notre plus grande amitié. Moi, qui avais par commandement la bouche fermée, ne répondais que par soupirs à son hypocrisie, comme Burrus fit à Néron, lequel mourut par le poison que ce tyran lui avait fait donner, lui témoignant assez la principale cause de mon mal n’être que la contagion des mauvais offices, et non celle de l’air infecté. Dieu eut pitié de moi, et garantit de ce danger; et après quinze jours passés, l’armée partant, l’on m’emporta dans des brancards, où tous les soirs, arrivant à la couchée, je trouvais le roi Charles, qui prenait la peine, avec tous les honnêtes gens de la Cour, de porter ma litière jusques au chevet de mon lit.

En cet état, je vins de Saint-Jean-d’Angély à Angers, malade du corps, mais beaucoup plus malade de l’âme, où pour mon malheur je trouvai Monsieur de Guise et ses oncles arrivés; ce qui réjouit autant mon frère, pour donner couleur à son artifice, que [cela] me donna appréhension de croître ma peine. Lors mon frère, pour mieux ourdir sa trame, venait tous les jours à ma chambre, y menant Monsieur de Guise qu’il feignait d’aimer fort, et pour le lui faire penser, souvent en l’embrassant il lui disait: «Plût à Dieu que tu fusses mon frère!» – à quoi Monsieur de Guise montrait ne point entendre. Mais moi, qui savais la malice, perdais patience de n’oser lui reprocher sa dissimulation.

Sur ce temps, il se parla pour moi du mariage du roi de Portugal, qui envoya des ambassadeurs pour me demander. La reine ma mère me commanda de me parer pour les recevoir, ce que je fis. Mais mon frère lui ayant fait accroire que je ne voulais point de ce mariage, elle m’en parla le soir, m’en demandant ma volonté, pensant bien en cela trouver un sujet pour se courroucer à moi. Je lui dis que ma volonté n’avait jamais dépendu que de la sienne, que tout ce qui lui serait agréable me le serait aussi. Elle me dit en colère, comme l’on l’y avait disposée, que ce que je disais je ne l’avais point dans le cœur, et qu’elle savait bien que le cardinal de Lorraine m’avait persuadée de vouloir plutôt son neveu. Je la suppliai de venir à l’effet* du mariage du roi de Portugal, lors elle verrait mon obéissance. Tous les jours, on lui disait quelque chose de nouveau sur ce sujet, pour l’aigrir contre moi et me tourmenter – inventions de la boutique du Guast. De sorte que je n’avais un jour de repos; car d’un côté le roi d’Espagne empêchait que mon mariage ne se fît, et de l’autre Monsieur de Guise, étant à la Cour, servait toujours de prétexte pour fournir de sujet à me faire persécuter, bien que lui ni nul de ses parents m’en eût jamais parlé, et qu’il y eût plus d’un an qu’il eût commencé la recherche* de la princesse de Porcian. Mais pour ce que ce mariage-là traînait, on en jetait toujours la cause sur ce qu’il aspirait au mien. Ce que voyant, je m’avisai d’écrire à ma sœur Madame de Lorraine, qui pouvait tout en cette Maison-là, pour la prier de faire que Monsieur de Guise s’en allât de la Cour et qu’il épousât promptement la princesse de Porcian sa maîtresse*, lui représentant que cette invention avait été faite autant pour la ruine de Monsieur de Guise et de toute sa Maison que pour la mienne. Ce qu’elle reconnut très bien, et vint bientôt à la Cour, où elle fit faire ledit mariage, me délivrant par ce moyen de cette calomnie, et faisant connaître à la reine ma mère la vérité de ce que je lui avais toujours dit, ce qui ferma la bouche à tous mes ennemis et me donna repos. Cependant, le roi d’Espagne, qui ne veut que les siens s’allient hors de sa Maison, rompit tout le mariage du roi de Portugal, et ne s’en parla plus.

Quelques jours après il se parla du mariage du prince de Navarre, qui maintenant est notre brave et magnanime roi, et de moi. La reine ma mère, étant un jour à table, en parla fort longtemps avec Monsieur de Méru, parce que la Maison de Montmorency étaient ceux qui en avaient porté les premières paroles. Sortant de table, il me dit qu’elle lui avait dit de m’en parler. Je lui dis que c’était chose superflue, n’ayant volonté que la sienne, qu’à la vérité je la supplierais d’avoir égard combien j’étais catholique, et qu’il me fâcherait fort d’épouser personne qui ne fût de ma religion. Après, la reine allant en son cabinet m’appela, et me dit que Messieurs de Montmorency lui avaient proposé ce mariage, et qu’elle en voulait bien savoir ma volonté; à quoi je répondis n’avoir ni volonté ni élection que la sienne, [mais] je la suppliai se souvenir que j’étais fort catholique.

>>>


Contact ı••••••••Mentions légales ı••••••••Plan du site ı••••••••Favoris