MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami•es de Marguerite

Texte établi par Éliane Viennot

Notes, indications d'années, introductions et glossaires (mots marqués d'un *) dans les éditions suivantes :

• Marguerite de Valois, Mémoires et autres écrits, 1574-1614. Paris, H. Champion, 1998

• Marguerite de Valois, Mémoires et discours. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005 — Acheter en ligne

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années 1559-1565••>>>

La liaison des choses précédentes avec celles des derniers temps me contraint de commencer du temps du roi Charles, et au premier point où je me puisse ressouvenir y avoir eu quelque chose remarquable à ma vie. Partant*, comme les géographes nous décrivant la terre, quand ils sont arrivés au dernier terme de leur connaissance, disent au-delà, ce ne sont que déserts sablonneux, terres inhabitées, et mers non naviguées, de même je dirai n’y avoir au-delà que le vague d’une première enfance, où nous vivons plutôt guidés par la Nature, à la façon des plantes et des animaux, que comme hommes régis et gouvernés par la Raison. Et laisserai à ceux qui m’ont gouvernée en cet âge-là cette superflue recherche, où peut-être, en ces enfantines actions, s’en trouverait-il d’aussi dignes d’être écrites que celles de l’enfance de Thémistocle et d’Alexandre, l’un s’exposant au milieu de la rue devant les pieds des chevaux du charretier qui ne s’était à sa prière voulu arrêter, l’autre méprisant l’honneur du prix de la course, s’il ne le disputait avec des rois.

Desquelles pourrait être la réponse que je fis au feu roi mon père peu de jours avant le misérable coup qui priva la France de repos, et notre maison de bonheur: n’ayant lors qu’environ quatre ou cinq ans, et me tenant sur ses genoux pour me faire causer, il me dit que je choisisse celui que je voulais pour mon serviteur, de Monsieur le prince de Joinville (qui a depuis été ce grand et infortuné duc de Guise), ou du marquis de Beaupréau, fils du prince de La Roche-sur-Yon (en l’esprit duquel la Nature, pour avoir fait trop d’effort de son excellence, excita l’envie de la Fortune jusques à lui être mortelle ennemie, le privant par la mort, en son an quatorzième, des honneurs et couronnes qui étaient justement promises à la vertu et magnanimité qui reluisaient à son aspect), tous deux âgés de six à sept ans, se jouant auprès du roi mon père, moi les regardant. Je lui dis que je voulais le marquis. Il me dit: «Pourquoi? Il n’est pas si beau» – car le prince de Joinville était blond et blanc, et le marquis de Beaupréau avait le teint et les cheveux bruns. Je lui dis: «Pour ce qu’il était plus sage, et que l’autre ne peut durer en sa patience qu’il ne fasse toujours mal à quelqu’un, et veut toujours être le maître.» Augure certain de ce que nous avons vu depuis.

Et la résistance aussi que je fis pour conserver ma religion du temps du colloque de Poissy, où toute la Cour était infectée d’hérésie, aux persuasions impérieuses de plusieurs dames et seigneurs de la Cour, et même de mon frère d’Anjou, depuis roi de France, de qui l’enfance n’avait pu éviter l’impression de la malheureuse huguenoterie, qui sans cesse me criait de changer de religion, jetant mes heures* souvent dans le feu, et au lieu me donnant des psaumes et prières huguenotes, me contraignant les porter. Lesquelles, soudain que je les avais, je les baillais à Madame de Curton ma gouvernante, que Dieu m’avait fait la grâce de conserver catholique, laquelle me menait souvent chez le bon homme, Monsieur le cardinal de Tournon, qui me consolait et fortifiait à souffrir toutes choses pour maintenir ma religion, et me redonnant des heures* et des chapelets au lieu de celles que l’on m’avait brûlées. Mon frère d’Anjou et ces autres particulières âmes qui avaient entrepris de perdre la mienne, me les retrouvant, animés de courroux m’injuriaient, disant que c’était enfance et sottise qui me le faisait faire, qu’il paraissait bien que je n’avais point d’entendement, que tous ceux qui avaient de l’esprit, de quelque âge et sexe qu’ils fussent, oyant prêcher la vérité, s’étaient retirés de l’abus de cette bigoterie; mais que je serais aussi sotte que ma gouvernante. Et mon frère d’Anjou, y ajoutant les menaces, disait que la reine ma mère me ferait fouetter – ce qu’il disait de lui-même, car la reine ma mère ne savait point l’erreur où il était tombé; et soudain qu’elle le sut, tança fort lui et ses gouverneurs, et le faisant instruire, contraignit de reprendre la vraie, sainte et ancienne religion de nos pères, de laquelle elle ne s’était jamais départie. Je lui réponds, à telles menaces, fondante en larmes comme l’âge de sept ou huit ans où j’étais lors y est assez tendre, qu’il me fît fouetter, et qu’il me fît tuer s’il voulait, que je souffrirais tout ce que l’on me saurait faire plutôt que de me damner.

Assez d’autres réponses, assez d’autres telles marques de jugement et de résolution s’y pourraient-elles trouver, à la recherche desquelles je ne veux peiner, voulant commencer mes Mémoires seulement du temps que je vins à la suite de la reine ma mère pour n’en bouger plus. Car incontinent* après le colloque de Poissy, que les guerres commencèrent, nous fûmes, mon petit frère d’Alençon et moi, à cause de notre petitesse, envoyés à Amboise, où toutes les dames de ce pays-là se retirèrent avec nous, même votre tante Madame de Dampierre, qui me prit lors en amitié (qu’elle m’a continuée jusques à sa mort), et votre cousine Madame la duchesse de Retz, qui sut en ce lieu la grâce que la Fortune lui avait faite de la délivrer à la bataille de Dreux d’un fâcheux, son premier mari, Monsieur d’Annebaut, qui était indigne de posséder un sujet si divin et parfait. Je parle ici du principe de l’amitié de votre tante envers moi, non de votre cousine, bien que depuis nous en ayons eu [une] de si parfaite qu’elle dure encore, et durera toujours. Mais lors, l’âge ancien de votre tante et mon enfantine jeunesse avaient plus de convenance, étant le naturel des vieilles gens d’aimer les petits enfants, et de ceux qui sont en âge parfait, comme était lors votre cousine, de mépriser et haïr leur importune simplicité.

J’y demeurai jusqu’au commencement du grand voyage, que la reine ma mère me fit revenir à la Cour pour ne bouger plus d’auprès d’elle – duquel toutefois je ne parlerai point, étant lors si jeune que je n’en ai pu conserver la souvenance qu’en gros, les particularités s’étant évanouies de ma mémoire comme un songe. Je laisse à en discourir à ceux qui, étant en âge plus mûr, comme vous, se peuvent souvenir des magnificences qui furent faites partout, même* à Bar-le-Duc, au baptême de mon neveu le prince de Lorraine; à Lyon, à la venue de Monsieur et de Madame de Savoie; à Bayonne, à l’entrevue de la reine d’Espagne ma sœur et de la reine ma mère, et du roi Charles mon frère (là où je m’assure que vous n’oublierez de représenter le festin superbe de la reine ma mère en l’île, avec le ballet, et la forme de la salle* qu’il semblait que la Nature l’eût appropriée à cet effet, ayant cerné dans le milieu de l’île un grand pré en ovale de bois de haute futaie, où la reine ma mère disposa tout à l’entour des grandes niches, et dans chacune une table ronde à douze personnes; la table de leurs majestés seulement s’élevait au bout de la salle* sur un haut dais de quatre degrés* de gazons; toutes ces tables servies par troupes de diverses bergères habillées de toile d’or et de satin, diversement selon les habits divers de toutes les provinces de France, lesquelles bergères, à la descente des magnifiques bateaux – sur lesquels, venant de Bayonne à cette île, l’on fut toujours accompagné de la musique de plusieurs dieux marins chantant et récitant des vers autour du bateau de leurs majestés – s’étaient trouvées chaque troupe en un pré à part, à deux côtés d’une grande allée de pelouse dressée pour aller à la susdite salle*, chaque troupe dansant à la façon de son pays: les Poitevines avec la cornemuse, les Provençales la volte avec les cymbales, les Bourguignonnes et Champenoises avec le petit hautbois, le dessus de violon et tabourins* de village, les Bretonnes dansant leur passe-pied* et branle-gai*, et ainsi toutes les autres provinces; après le service desquelles, le festin fini, l’on vit, avec une grande troupe de satyres musiciens, entrer ce grand rocher lumineux, mais plus éclairé des beautés et pierreries des nymphes qui faisaient dessus leur entrée que des artificielles lumières, lesquelles descendant, vinrent danser ce beau ballet, duquel la Fortune envieuse ne pouvant supporter la gloire, fit orager une si étrange pluie et tempête, que la confusion de la retraite qu’il fallait faire la nuit par bateaux apporta le lendemain autant de bons contes pour rire, que ce magnifique appareil de festin avait apporté de contentement), et en toutes les superbes entrées qui leur furent faites aux villes principales de ce royaume, duquel ils visitèrent toutes les provinces.

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