Un site présenté par Eliane Viennot

LA QUERELLE DES FEMMES

florilège

XIVe SIECLE

vers 1380 (Jean Le Fèvre de Ressons, Le Livre de Liesse, ouverture)

    • Mesdames, je requiers merci [pitié]
      A vous me veux excuser ci [ici]
      De ce que, sans votre licence [autorisation]
      J'ai parlé de la grand dissence [conflit]
      Et des tourments de mariage.
      Je puis bien dire, sans flater
      Que je n'ai fait que translater [traduire]
      Ce que j'ai en latin trouvé […]
      Dont, si je m'en suis entremis,
      Je supplie qu'il me soit remis [pardonné]
      Et pardonné par votre grâce.
      Car je suis tout prêt que je face [à faire]
      Un livre pour […] vous excuser [défendre] loyaument
      Et montrer espéciaument
      Que nul ne doit femmes blâmer.

XVe SIECLE
1404 — «L’heure est venue [… de bâtir] une place forte où se retirer et se défendre contre de si nombreux agresseurs» — «Si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et de toutes les sciences tout aussi bien qu’eux.»
(Christine de Pizan, La Cité des dames — traduction Eric Hicks & Thérèse Moreau)

1440-1441 (Martin Le Franc, Le Champion des dames)

    • [Tu] Répliqueras, comme je pense,
      Que femme doit l'homme servir,
      Porter la clé de la dépense,
      Faire à l'hôtel le pot bouillir;
      Le mari [doit, quant à lui] aller et venir,
      Qui la corrige de sa faute. […]
      N’ont-elles en ce monde part
      Comme vous? Ne leur a Nature
      Donné engin [intelligence] pour savoir l'art
      De tenir justice et droiture?
      À quel jeu, par quelle aventure
      Ont-elles perdu [la partie], que ne doient [de sorte qu’elles ne doivent plus]
      Lire et parler de l’Écriture,
      Et ès hauts affaires ne soient? [et qu’elles ne puissent plus participer aux grandes décisions]
      A peine osent-elles mot dire
      Les bonnes simples femmelettes!
      Et leur engin ne laissez duire [vous ne les laissez exercer leur esprit]
      Fors [qu'] à très menues chosettes,
      Afin que comme bêtelettes
      Dessous votre main les teniez.

XVIe SIECLE
1509 — «incontinent que la femme est née, dès son enfance est tenue en oisiveté à la maison, et comme si elle n’était pas capable de plus haut office, il ne lui est permis de toucher autre chose que l’aiguille et le fil. Et quand elle est parvenue aux ans de maturité, elle est baillée sous la puissance de jalousie de l’homme, ou elle est enfermée à toujours en cloître de nonnains. Tous les offices publics aux lois lui sont interdits. Il ne lui est point permis de postuler en jugement, combien qu’elle soit prudente, davantage sont déboutées quant à juridiction, en arbitre, en adoption, en intercession, en procuration, en tutelle, en cure et en cause testamentaire et criminelle. Aussi sont déboutées quant à prêcher la parole de Dieu, contre l’Écriture expressément mise, par laquelle le Saint-Esprit leur a promis par le prophète disant: «Vos filles prophétiseront.» Comme au temps des apôtres, elles enseignaient et prêchaient publiquement. […] Mais l’improbité des législateurs nouveaux est si grande, lesquels ont fait le commandement de Dieu vain pour leurs traditions, qu’ils ont par sentence prononcé que les femmes, excellentes par nature et nobles par dignité, sont de plus vile condition que tous les hommes. Et par telles lois, les femmes, comme vaincues par batailles, sont contraintes de donner lieu [laisser la place] aux hommes victorieux, non point que ce fasse [qu'agisse ici] naturelle nécessité, ni aucune raison divine, mais la coutume, la nourriture, la fortune, la domination tyrannique des hommes. En outre, ils sont aucuns qui, comme par ordonnance divine, prennent pour eux l’autorité sus les femmes et prouvent leur tyrannie par les saintes Écritures, auxquels continuellement est en la bouche cette malédiction: «D’Ève, tu seras sous la puissance de l’homme et icelui dominera sus toi.»
(Corneille Agrippa, De la noblesse et préexcellence du sexe fémininécrit en latin, publié en 1529, traduit et publié en 1530. Dédié à Marguerite d'Autriche)

1552 — «quant à vous, Mesdames, le devoir que j'ai à la plus précieuse perle d'entre vous m'incite de toucher un mot de l'honneur de votre sexe, duquel certains Thucidide de ce temps confinent le nom et la louenge autant loin [aussi loin que possible] de toutes oreilles, comme leur odieuse et inique impériosité resserre les personnes à l'obscur [à l'ombre] des domestiques murailles et dedans le clos des chambres solitaires […]; et non contents de ce, vous imputent (pour couvrir la vile impudence de leurs cruels outrages) la faiblesse pusillanime, l’ignorance, l’inconstance, le défaut d’amitié, l’impromptitude de conseil, la lubricité, et tels vices mensongers que l’horreur ne me permettrait de réciter si je n’avais raison et exemples pour les dédire [contredire].
(Pontus de Thyard, Solitaire Premier, Dédicace)


XVIIe SIECLE
1614 — «poussée de quelque ambition pour l’honneur et la gloire de mon sexe, [je vous dirai que] je ne puis supporter le mépris où vous le mettez, [en] voulant qu’il soit honoré de l’homme pour son infirmité et faiblesse. Vous me pardonnerez si je vous dis que l’infirmité et faiblesse n’engendrent point l’honneur, mais le mépris et la pitié; et qu’il y a bien plus d’apparence que les femmes soient honorées des hommes par [pour] leurs excellences»
(Marguerite de Valois, Discours docte et subtil)

1622 — «Parmi les roulades de ces hauts devis, oyez tels cerveaux comparer ces deux sexes: la suprême excellence, à leur avis, où les femmes puissent arriver, c’est de ressembler le commun des hommes!»
(Marie de Gournay, Égalité des hommes et des femmes)

1660 — «les lois qui nous soumettent à leur puissance sont dures et insupportables; je sais qu’ils nous donnent en partage [ils nous attribuent] la vanité, les louanges et la beauté, pour mieux usurper sur nous le commandement de la mer et de la terre, les sciences, la valeur et la puissance de juger et d’être les maîtres de la vie des humains, les dignités en toutes conditions; et, ôté la quenouille, je ne vois rien sous le soleil qu’ils n’aient mis de leur côté. Cependant leur usurpation n’est fondée sur aucun prétexte. Les histoires sont pleines de femmes qui ont gouverné des empires avec une singulière prudence, qui ont acquis de la gloire en commandant des armées, et qui se sont fait admirer par leur capacités.»
(Lettre de Mme de Motteville à Mlle de Montpensier)

1673 — «on s’est figuré que leur exclusion [des sciences et des emplois] est fondée sur une impuissance naturelle de leur part. Cependant il n’y a rien de plus chimérique que cette imagination.»
(François Poulain de La Barre, De l’égalité des deux sexes)


XVIIIe SIECLE
1727 — «Les femmes ne peuvent-elles pas dire aux hommes: “Quel droit avez-vous de nous défendre l’étude des Sciences et des Beaux-Arts? Celles qui s’y sont attachées n’y ont-elles pas réussi, et dans le sublime, et dans l’agréable?”»
(Mme de Lambert, Réflexions nouvelles sur les femmes, Avis «Au lecteur»)

(avant 1755) — «excepté dans des cas que de certaines circonstances ont fait naître, les femmes n’ont jamais guère prétendu à l’égalité; car elles ont déjà tant d’autres avantages naturels, que l’égalité de puissance est toujours pour elles un empire.» (Montesquieu, Pensées)

1751-1752 — «Si j’étais peintre, je peindrais Catilina les yeux égarés et l’air terrible, Cicéron faisant de grands gestes, Caton menaçant, César se moquant d’eux et Aurélie craintive et éplorée. Mais on veut, au théâtre de Paris, dans le royaume des femmes, que les femmes soient plus importantes.» — «Pourquoi m’a-t-on forcé de changer le rôle tendre que j’avais pour elle? […] Je voulais un contraste de douceur, de naïveté, d’innocence, avec la férocité de Catilina. Il y a assez de Romains dans cette pièce, je ne voulais pas d’un Caton en cornettes. […] Il me semble que sa mort eût été plus touchante. On ne plaint guère une grosse diablesse d’héroïne qui menace, qui fait la républicaine.»
(Voltaire, Lettre au comte d’Argental, 13 novembre 1751 — idem, 6 février 1752)

«Dès que les femmes cessèrent d'avoir séance au Parlement, d'opiner, de tenir l'audience et de juger les procès dans les juridictions qui leur appartenaient, cet abus cessa [=le scandale des femmes détenant pleine capacité juridique], et les femmes ne firent plus la fonction d'Avocat et de Procureur.» Depuis, «les choses sont revenues dans leur état primitif et naturel [= la domination masculine], il n’a point été nécessaire de faire aucun édit, ni aucune ordonnance pour empêcher les femmes de faire les fonctions d'Avocat et de Procureur. L’on a point vu aussi de femme qui ait voulu, ou ait osé vouloir s’arroger ce droit. Tous nos auteurs de droit français (à l’exception de quelques praticiens qui sont en petit nombre, qui ont suivi, peut-être sans avoir examiné la question, le sentiment du Spéculateur au titre De procuratoribus [=Guillaume Durand, dit le spéculateur (1230-1296)]), sont tous d'avis que nous n'observons point en France les lois romaines, qui permettaient aux femmes de plaider et postuler en qualité d’avocat, soit pour elles-mêmes, ou pour leurs parents. Il serait ennuyeux de rapporter ici la liste de ces auteurs […].»
(Anonyme, Suite de la Clef, ou Journal historique sur les matières du temps…, Paris, Ganeau, 1755, p.437).

1762 — «la recherche des vérités abstraites et spéculatives, des principes, des axiomes dans les sciences, tout ce qui tend à généraliser les idées n’est point du ressort des femmes, leurs études doivent se rapporter toutes à la pratique.»
(Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation)

1783 — «Quelques partisans zélés de Rousseau m’ont reproché de n’avoir pas assez loué Émile. Avant que ces Lettres parussent […], je craignais qu’on ne m’accusât au contraire de n’avoir point assez critiqué un livre si répréhensible à tant d’égards.»
(Félicité de Genlis, préface à la seconde édition d’Adèle et Théodore ou lettres sur l’éducation contenant tous les principes relatifs à l’éducation des Princes, des jeunes personnes et des hommes [1782])


REVOLUTION

1789 — «Le 5 octobre dernier [marche sur Versailles], les Parisiennes ont prouvé qu’elles étaient pour le moins aussi braves qu’eux. […] Remettons les hommes dans leur chemin et ne souffrons pas qu’avec leurs systèmes d’égalité et de liberté, avec leurs Déclarations de droits, ils nous laissent dans l’état d’infériorité – disons vrai, d’esclavage –, dans lequel ils nous retiennent depuis si longtemps.»
(Étrennes nationales des dames)

1791 — «Homme, es-tu capable d’être juste? C’est une femme qui t’en fait la question; tu ne lui ôteras pas moins ce droit. Dis-moi: qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe? Ta force? Tes talents? […] Parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher. […] cherche, fouille, et distingue si tu le peux les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent […]. L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles.»
(Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femmes)

1793 — «Femmes, les lois ont prononcé, vous ne traiterez point dans les assemblées politiques des grands intérêts de l’État; mais qu’il vous reste encore d’honorables fonctions à remplir! Les soins de votre ménage, l’éducation de vos enfants, un tendre attachement à vos époux; voilà où vous devez placer votre orgueil et vos jouissances.»
(Citoyen Dulaurens, Paris, 10 décembre 1793, fête de la Raison)

1794 — «Parmi les progrès de l'esprit humain les plus importants pour le bonheur général, nous devons compter l'entière destruction des préjugés qui ont établi entre les deux sexes une inégalité de droits funeste à celui même qu'elle favorise. On chercherait en vain des motifs de la justifier par les différences de leur organisation physique, par celle qu'on voudrait trouver dans la force de leur intelligence, dans leur sensibilité morale. Cette inégalité n'a eu d'autre origine que l'abus de la force, et c'est vainement qu'on a essayé depuis de l'excuser par des sophismes.»
(Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain)


XIXe SIECLE
1840 — «Nous nous sommes peints de toutes les manières, de face et de profil, en buste ou en pied, et toujours avec une si prodigieuse libéralité, qu’à peine s’il reste quelque chose à dire en éloges, panégyriques, biographies, mémoires ou portraits; tandis que c’est miracle s’il nous échappe, du bout des lèvres et comme par pitié, quelque monosyllabe en faveur des célébrités du beau sexe; et encore faut-il qu’il s’agisse de quelque reine ou princesse. N’est-il pas temps de le venger de cet outrageux oubli? […] L’histoire devrait donc rougir d’avoir méconnu la valeur des femmes et d’avoir à peine daigné s’occuper d’elles. C’est cette injuste négligence que nous voulons réparer; c’est cet injurieux silence que nous voulons rompre».
(E. Lairtullier, Les Femmes célèbres de 1789 à 1795, et leur influence dans la Révolution, Pour servir de complément à toutes les histoires de la révolution française)

1849 — «Une femme médecin répugne; une femme notaire fait rire; une femme avocat effraie. Les femmes elles-mêmes, d’accord avec les coutumes qui les excluent, n’épargnent ni les railleries ni les reproches amers à celles de leurs sœurs qui osent rêver une existence en dehors ou en l’absence de la famille, et ainsi entourées de barrières, assistant à la vie mais n’y prenant point part, sans lien avec la patrie, sans intérêt dans la chose publique, sans emplois personnels, elles sont filles, épouses et mères; elles sont rarement femmes, c’est-à-dire créatures humaines pouvant développer toutes leurs facultés; jamais citoyennes. Une exclusion aussi absolue est-elle légitime? Est-elle nécessaire? Avons-nous le droit de dire à la moitié du genre humain: Vous n’aurez pas votre part dans la vie et dans l’État? N’est-ce pas leur dénier leur titre de créatures humaines? N’est-ce pas déshériter l’État même? […] Qui nous dit qu’un grand nombre des maux qui déchirent notre monde et des problèmes insolubles qui le travaillent n’a pas en partie pour cause l’annihilation d’une des deux forces de la création, la mise en interdit du génie féminin?»
(Ernest Legouvé fils, Histoire morale des femmes)

1856 — «Malheur aux femmes qui excellent dans les lettres et les arts! Elles se sont trompées de joie. Si elles se ravalent à imaginer, soyez sûrs que c’est qu’il leur a manqué quelque chose à aimer: leur gloire publique n’est que l’éclat de leur malheur secret. Hélas, il ne faut pas les envier, il faut les plaindre d’être admirées. Demandez-leur si elles ne troqueraient pas tout le bruit de leur nom contre un soupir qui ne serait entendu que de leur cœur?»
(Alphonse de Lamartine, Cours familier de littérature)


XXe SIECLE
1910 — On dit: «les femmes ne sont pas assez intelligentes pour exercer les professions viriles.» […] La réponse, c’est: «Eh bien! alors!» Si elles ne sont pas assez intelligentes pour exercer ces fonctions, que craignez-vous d’elles? Laissez-les faire! Elles s’y casseront le nez et vous serez triomphants! […] On dit: «Jamais les femmes n’ont eu de génie! Elles n’ont ni écrit l’Iliade, ni peint la chapelle Sixtine, ni découvert l’attraction.» L’argument est puéril […]. Il s’agit de plaider des causes, de soigner des pneumonies, de juger des procès, d’écrire des articles et des romans, de professer la littérature et la physique, de préparer des remèdes dans une officine de pharmacien. Jamais il n’a fallu de génie pour tout cela. […] «Mais les femmes sont impropres aux affaires politiques, n’ont pas la capacité politique, parce qu’elles n’ont pas d’idées générales.» Il faut un peu rire de temps en temps. Cette objection nous donne ce plaisir salutaire. C’est en vertu d’idées générales que les hommes votent dans leurs comices? […] Il est naturel, dans un pays de suffrage universel, que le suffrage soit universel.»
(Émile Faguet, Le Féminisme)

1980 — Silence depuis les années 1930 dans les rangs des inégalitaristes (doctes), qui se contentent d'agir pour empêcher la progression de l'égalité, sans plus défendre leur idéal. Mais la dispute se poursuit sur le terrain de la langue, par féminin et masculin interposés.


XXIe SIECLE
2010? — exemple de silence assourdissant: le cours d'Antoine Compagnon, «Qu'est-ce qu'un auteur?» Devinez la réponse. Lire la suite

2017 —


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