MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami/es de Marguerite

Guillaume Belliard

Le Premier livre des Poemes de Guillaume Belliard, secretaire de la Royne de Navarre, contenant les delitieuses amours de Marc Antoine et de Cléopatre, les Triomphes de l’Amour et de la Mort, et autres imitations d’Ovide, Petrarque et de l’Arioste. A la Royne de Navarre. Paris, Claude Gonthier, 1578.

Élégie à la Reine de Navarre.

Pour n’avoir mes esprits encor heureusement,
Rencontré la faveur d’un céleste argument,
Je passais de mes jours la course péranelle, [habituelle]
Peu soigneux d’acquérir une gloire immortelle,
Arrêtant seulement le regard de mes yeux
Sur les divers objets de ces terrestres lieux;
Ores pour détourner ma tristesse ennuyeuse,
Je m’allais éloigner par la campagne herbeuse,
Ores le long des cours des petits ruisselets,
Et ores par le vert des renaissantes prées,
 (Lorsque de mille fleurs elles sont diaprées)
Sans élever mes sens par quelque haut désir,
Pour me faire sentir un immortel plaisir.
Et si, parfois ravi de quelque belle envie,
J’entonnais sur mon luth une douce harmonie,
Essayant de goûter les divines douceurs
Qu’alentour d’Hélicon produisent les neuf sœurs,
Tout aussitôt lassé de si grandes délices,
Je soulais [avais l’habitude de] m’appliquer à d’autres exercices.
Aussi n’avais-je point encore dans mon cœur,
La puissance sentie d’une brusque vigueur;
Et pour voir le trésor de ces sœurs souveraines,
Mon esprit ne prenait encore trop de peines.
Ainsi de mes ébats les modestes déduits
Ne pouvaient apporter beaucoup de riches fruits,
Lorsqu’étant arrivé en ma chère patrie,
De nos triples états la grande compagnie,
 (Laquelle au mandement de notre Dieu français,
venait pour réformer la rigueur de nos lois),
Je vis, dedans la ville où je pris ma naissance,
Entrer sa majesté en suprême apparence,
Ayant auprès de lui les Dieux et demi-Dieux,
Lesquels faisaient honneur à son chef précieux.
Comme il eut achevé sa solennelle entrée,
Je vis entièrement la brigade sacrée
Arriver au Château, où, longuement après,
Mon œil eut le loisir de les voir de plus près.
Tous portaient en la face une gloire admirable, 
Tous montraient en leurs yeux une joie agréable,
Tous ne manifestaient par leurs propos divins
Sinon mille plaisirs gracieux et bénins;
Mêmement n’y avait, d’entre toutes les dames
Qui par leurs doux attraits recueillassent nos âmes,
Aucune qui ne fît connaître apertement,
D’avoir en son esprit quelque contentement.
            Sans plus la majesté d’une belle Déesse,
Avait le cœur saisi d’une extrême détresse ;
Et jà de son beau teint la fière Lachésis,
Avait presque effacé les roses et les lys, 
L’ayant, ô crève cœur ! sur la plume étendue
Pleine d’une douleur qui fut assez connue.
Las ! C’était vous Madame, en qui voulut alors,
Adversaire fortune, exercer ses efforts.
Hélas ! Je ne savais si votre douce vie,
En votre âge si vert, devait être finie,
Pour le bruit qui volait du périlleux tourment,
Lequel vous affligeait continuellement.
            Mais ce Grand Éternel qui ne voulait à l’heure,
Encore vous ôter hors de cette demeure,
Pour si tôt ne priver nos esprits et nos yeux
De tant de beaux trésors qu’il avait de ses cieux,
Fait découler en vous par la grâce céleste,
Déploya libéral sa pitié manifeste,
Pour empêcher la Parque et la fière rigueur,
De séparer si tôt l’esprit de votre cœur.
            Vous commenciez déjà quelque peu à reprendre
Le vigoureux pouvoir qu’il désirait vous rendre,
Et jà de vos flambeaux la brillante clarté
Témoignait le secours de la bénignité,
Lorsque le Ciel, voulant d’une force moins vaine
effleurer mes pensées à chose plus hautaine,
me fit heureusement sonner une chanson,
De laquelle vous fut agréable le son.
            Madame, je sais bien que ma nouvelle rime
Ne pouvait mériter encore nulle estime;
Je sais bien que mes vers rudes et mal polis
N’étaient d’aucune fleur richement embellis;
Mais si tôt qu’il vous plut, d’un regard favorable,
Trouver de mes esprits le style délectable,
Je sentis aussitôt mon âme s’émouvoir,
D’un honnête désir d’accroître mon savoir.
Je sentis ma vigueur, auparavant débile,
Éprise incontinent d’une flamme subtile ;
Et, pour voler plus haut au séjour des Héros,
Un pennage immortel j’attachais sur mon dos.
            Dans ces célestes lieux, étonné des richesses
Que portaient hautement les Dieux et les Déesses,
Sur lesquelles voyant l’excellente beauté
Divinement briller en votre majesté,
Le destin, qui guidait ma fortune et mon zèle,
Me présenta devant votre face immortelle.
Alors d’un cœur dévot en vous offrant mes vœux,
Je vous choisis pour phare en mes jours ténébreux ;
Vous fûtes la Déesse et l’Astre débonnaire,
Pour éloigner de moi la fortune adversaire,
Pour faire mon navire arriver à bon port,
Et pour m’être au besoin un céleste support.
            Aussi, persévérant ma religion sainte,
J’ai toujours devers vous d’une ferveur non feinte,
De mes plus beaux labeurs adressé les présents,
Comme à celle qui peut, le reste de mes ans,
Favoriser ma vie et, par sa grâce heureuse,
Rendre éternellement mon âme glorieuse.
            Voilà pourquoi Madame, ayant fait ce recueil
Des chants que j’ai déjà présentés à votre œil,
Je l’appens à vos pieds pour un pur sacrifice,
Témoin de mes désirs à vous faire service,
Afin qu’à l’avenir notre postérité,
Puisse encore honorer votre divinité.
Combien que de mes chants la Musique peu grave
Ne porte sur le front une apparence grave,
Et que journellement vos yeux soient contentés
De mille beaux sujets devant vous présentés,
Je veux bien toutefois, par quelque témoignage,
Manifester combien je vous porte d’hommage.
            Je sais bien que les dents de quelques ennuyeux,
Pour mordre mon renom d’un esprit curieux,
Remarqueront plutôt les faux tons de ma lyre,
Que l’honnête vertu à laquelle j’aspire,
Étant de [du] naturel de ces divers esprits
De ne trouver bien fait que leurs propres écrits.
J’estime bien aussi que d’autres, moins sévères,
Ne se démontreront contre moi si contraires, 
Et que, considérant que la perfection
Ne se saurait trouver en l’humaine action, 
Priseront pour le moins, d’une façon humaine,
De ces premiers accords la volontaire peine.
            Quoi qu’il en soit Madame, il ne peut arriver,
Que mes labeurs je puisse inutiles trouver,
Si votre bel esprit, auquel je les présente,
Y trouve tant soit peu chose qui le contente.

Virtus laudata crescit [«La vertu croît lorsqu’elle est louée»].

Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions).

mis en ligne le 14.5.2018


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