MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami/es de Marguerite

Pierre de Bourdeille, seigneur et abbé de Brantôme

Discours des Rodomontades (première rédaction, 1590-1600?). In Œuvres complètes de Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, éd. Ludovic Lalanne, volume 1. Paris, Veuve Jules Renouard, 1864.

A LA REINE DE FRANCE ET DE NAVARRE.

Madame,
Si j’ai eu quelquefois, par votre permission, cet honneur de parler à Votre Majesté aussi privément que gentilhomme de la cour, abaissant en cela, par votre généreuse bonté, votre grandeur, j’ai remarqué en vous telle curiosité, qu’encore que vous soyez la princesse et la dame du monde la plus accomplie en toutes vertus et sciences, si voulez-vous toujours apprendre quelque chose de plus, s’il se peut. Que c’est d’une belle âme, qui dépend du ciel en toute perfection, et toutefois elle s’applique en tout! Je le dis, Madame, d’autant que je vous vis un jour curieuse d’ouïr raconter des rodomontades espagnoles; en quoi vous y prîtes tel plaisir que, dès lors, je m’avise de faire cette œuvre, où vous y en verrez de toutes façons, non pas seulement de celles des Espagnols, mais de celles de vos nobles Français et autres.
Je vous le dédie, Madame, et l’appends à vos pieds, n’étant digne d’être touché de vos belles et royales mains. Car, et qui [quel] est l’œuvre, tant parfait soit-il, qui se puisse toucher de vous, si n’est ce qui vient de vous-mêmes, qui êtes toute parfaite? Toutefois, Madame, pour la fiance que j’ai en votre curiosité, j’ai opinion que possible, en passant, vous y jetterez vos beaux yeux. Et par ainsi, je le vous adresse, vous priant, Madame, de l’assurer et le fortifier de votre sacré et divin nom. Que s’il en peut être le moins du monde supporté, il peut braver par-dessus toute les rodomontades qui sont ici écrites. Je n’en ai mis aucune étrangère en leurs langues, sinon les espagnoles, d’autant que le langage en est plus bravache et ressent mieux sa superbeté. Aussi, l’empereur Charles V le disait fort brave, superbe et de soldat, comme il tenait l’italien pour le courtisan et l’amoureux; et le français, le réservait pour les rois, les princes et les grands.
Au reste, Madame, s’il vous prend envie, par curiosité, à quelque méchante heure de loisir, en lire quelques feuillets, et qu’y remarquiez quelques fautes, excusez, je vous supplie, le peu de profession que j’ai fait du savoir et de l’art de bien écrire et bien dire. Car depuis que j’ai commencé à voir le monde, je me suis amusé toujours à faire voyages en plusieurs endroits, à servir les Rois mes maîtres en leurs armées, les suivre et les courtiser en leurs cours, et passer aussi mon temps en autres exercices. Je serai donc excusé, Madame, si vous ne voyez point ici un seul bel ordre d’écrire, ni aucune belle disposition de paroles éloquentes. Je les remets aux mieux disants; j’entends, de ceux qui vous ont pu imiter en votre beau parler. Bien vous dirai-je, Madame, que ce que j’écris est plein de vérité. De ce que j’ai vu, je l’assure. De ce que j’ai su et appris d’autrui, si on m’a trompé je n’en puis mais. Si tiens-je pourtant beaucoup de choses de personnages et de livres très véritables et dignes de foi. Voilà comme je me présente à vous, avec vœu et dédication que je fais à Votre Majesté de vous demeurer pour jamais votre très humble et très obéissant sujet et très affectionné serviteur.

Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions; quelques alinéas créés dans les textes longs).

mis en ligne le 4.1.2012


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