MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami/es de Marguerite

Anne de Marquets, traductrice de

Marc Antoine Flaminio, Les Divines Poesies de Marc Antoine Flaminius : Contenantes diverses Prieres, Meditations, Hymnes, & Actions de grâces à Dieu: Mises en François, avec le Latin respondant l’un à l’autre. Avec plusieurs Sonnets & Cantiques ou Chansons Spirituelles pour louer Dieu. A Madame Marguerite, sœur du roy tres-chrestien Charles IX. Paris, N. Chesneau, 1568.

À Madame Marguerite, sœur du Roi très chrétien, Charles IX.

Madame, à bonne et juste occasion on me pourrait estimer bien téméraire et présomptueuse, si j’avais entrepris (considéré votre excellence et grandeur, et mon insuffisance) de vous présenter ce mien petit labeur, sans avoir été induite à ce faire, comme j’ai été, par votre autorité et parole. Attendu que le dernier voyage que vous fîtes en ce lieu, il vous plût me faire tant d’honneur que de me demander quelques petits fruits de mon étude, montrant avoir agréables ceux que jà vous aviez pu voir, ores que cela procédât de votre seule et naïve bonté, et non de leur mérite. Ayant donc, MADAME, par cette gracieuse demande qui m’a servi de commandement, entendu votre volonté, je n’ai voulu faillir, comme celle qui vous doit et désire obéir toute sa vie, me mettre en devoir de l’exécuter, combien que ce n’a été avec telle diligence et promptitude que je devais, ayant été longuement intimidée par une honte et crainte qui me détournait de cette entreprise, et qui à la vérité ne m’eût jamais permis d’en venir à fin, si le désir que j’avais de vous complaire et faire très humble service n’eût été le plus fort. À quoi m’a encore beaucoup aidé l’expérience que j’avais faite de votre bénévolence et faveur, avec le certain témoignage que feu monsieur votre précepteur m’en avait donné, m’ayant assurée que vous recevriez toujours avec bon visage ce que je vous présenterais. Or, après avoir bien pensé en moi-même que ma Muse ne serait jamais capable d’inventer aucune chose digne de vous, je me délibérai de traduire en vers Français ces vers Latins de M. Antoine Flaminius, ne sachant rien plus propre et convenable pour vous être offert, tant pour l’argument qui est saint et divin, et digne d’une Princesse si bien acheminée à vertu comme vous êtes, que pour la grande conformité que vous avez avec celle à qui les susdits vers Latins ont été dédiés, c’est à savoir, à très excellente Princesse, Madame de Savoie, votre tante, à laquelle, selon qu’on peut juger par votre gentil esprit et bon naturel, vous ne serez moins ressemblante de science et de bonnes mœurs, que de nom et de qualité. Et pour revenir à ma dite traduction, je confesse n’y avoir observé beaucoup de choses qui eussent été bien requises, ni rendu vers pour vers; joint que j’ai en quelques endroits usé de Paraphrase, selon qu’il m’a semblé bon ou bien qu’il m’était plus facile en cette sorte, m’étant toujours assurée, MADAME, que votre très illustre grandeur, accompagnée de douceur si aimable, supporterait bénignement ce qui serait digne de correction, regardant plutôt l’affection et bonne volonté que l’œuvre même. Et sous cette confiance, j’ai encore ajouté quelques Cantiques et Sonnets de semblable argument, avec l’Anagrammatisme de votre nom, m’étant bien souvenue que c’était une des choses que monsieur votre dit précepteur m’avait dites, qui vous seraient [des] plus agréables. Il vous plaira donc, MADAME, me faire tant d’honneur de recevoir le tout en bonne part, comme très humblement je vous en supplie. En quoi faisant, vous m’obligerez infiniment, et de plus en plus, à prier Dieu pour la conservation de votre altesse et grandeur. Laquelle je lui supplie faire croître et augmenter en toutes grâces et vertus, et vous donner, MADAME, en très heureuse prospérité, très bonne et très longue vie.
De votre maison de Poissy, ce quinzième jour de juin 1568,
Votre plus que très humble et très obéissante servante,
S. Anne de Marquetz.



Epître encore à la dite Dame

Si vous n’avez égard (ô Royale princesse)
Qu’à l’imperfection, ignorance et rudesse
De ces miens petits vers, dont je vous fais présent,
Vous n’y pourrez rien voir qui soit bon ni plaisant,
Et direz à bon droit qu’œuvre si mal dressée
Ne méritait l’honneur de vous être adressée.
Mais tout ainsi qu’on voit souvent caché dessous
Quelque bien dure écorce, un fruit suave et doux,
Ainsi j’ose assurer que si vous prenez garde
Au sujet principal, qui concerne et regarde
Une divine ardeur, une perfection
De ferme et vive foi, une conjonction
De l’âme avec son Dieu, par dévote prière,
Bref, une instruction utile et singulière
Pour aspirer au ciel, et suivre heureusement
Celui qui peut donner le vrai contentement,
Vous verrez bien alors, que sous la couverture
D’une assez malplaisante et indocte écriture,
On peut facilement beaucoup de bien choisir,
Avec un agréable et merveilleux plaisir.
Qu’ainsi soit, y a[-t-]il chose plus profitable,
Est-il plaisir plus grand, plus doux et délectable,
Que d’effleurer son cœur, son âme et son esprit
À chanter, reconnaître et louer Jésus Christ ?
Implorer sa faveur, lui raconter et dire
Comme à un vrai ami, notre angoisse et martyre ?
En sa grâce et bonté toujours nous assurer,
Quelque mal et tourment que puissions endurer ?
Considérer aussi ses divins bénéfices,
Et que, pour nous sauver et purger de tous vices,
Nous retirer d’enfer et le ciel nous offrir,
Il a voulu la mort honteusement souffrir ?

Voilà sommairement les choses plus requises
Au fidèle Chrétien, lesquelles sont comprises
En ce que j’ai traduit. Ce qui me fait penser
Que telle utilité pourra récompenser
L’ignorance du style et le rude langage,
Confessant librement qu’en ce petit ouvrage
Je ne puis reconnaître et avouer rien mien
Que ce qui est mal fait : car tout l’heur et le bien
Qu’on peut y recueillir a pris son origine
De l’auteur inspiré d’une muse divine,
Qui lui faisait chanter, non les folles amours,
Non les trop vicieux et peu sobres discours
De quelque mensongère et vaine poésie,
Ou autre invention d’humaine fantaisie,
Mais ce qui était propre à la gloire de Dieu,
Et ce qu’un Chrétien doit méditer en tout lieu,
Sans s’occuper ainsi à chose infructueuse,
Contraire aux bonnes mœurs, et si pernicieuse
Que jadis les Romains bannirent justement
Un qui avait écrit trop impudiquement,
Le contraignant enfin (pour quelque amende faire)
De prendre autre sujet au premier tout contraire.
À plus forte raison, ceux qui sont instruits
En l’école de Christ devraient bien être induits
À convertir en mieux et en quelque œuvre utile
La grâce et l’ornement de leur plume gentille.

Ah ! que je plains le temps, qui est si précieux,
Et les riches talents qu’ils ont reçus des cieux
Ainsi mal employés et dont ils rendront compte
Quelque jour devant Dieu à leur reproche et honte.
Mais il faut (disent-ils, se voulant excuser)
Pour réveiller l’esprit et le subtiliser,
Écrire de l’amour autrement d’heure en heure :
Plus grossier il devient, et trop morne il demeure.

Eh bien, que d’amour donc ils prennent le sujet,
Mais non pas de celui qui rend l’homme sujet
À mille pauvretés et le fait misérable,
Le conduisant enfin à la mort perdurable :
Ains [mais] de l’amour divin, comme a fait notre auteur,
De l’amour (dis-je) saint, dont [d’où] procède tout heur,
Et qui jamais enfin ne tourne en amertume,
Ainsi que toute chose impure a de coutume.
Au prix duquel amour, ni la dilection
De la mère à l’enfant, ni autre affection
Tant extrême soit-elle et de longue durée
Ne doit ni ne peut être en douceur comparée.
Somme, cet amour rend de tout vice vainqueur
Celui qui bien le goûte et savoure en son cœur,
Car il purge l’esprit d’erreur et d’ignorance,
Et l’orne de vertu, de grâce et sapience.

Là donc on peut trouver assez bon argument
Pour doctement écrire et bien chrétiennement,
Laissant les vers lascifs et les chants impudiques
Aux Épicuriens, aux Païens et Ethniques.

Si ne veux-je du tout l’invention blâmer
D’un Poète fécond, vu qu’elle peut charmer,
Par une gracieuse et étrange merveille,
Un bien fâcheux souci, et repaître l’oreille.
Mais cela ne suffit pour l’esprit contenter,
Car étant immortel, il le faut sustenter
De viande immortelle et céleste, de sorte
Que s’il goûte autre chose, il n’en tire et rapporte,
Au lieu de nourriture et de bon aliment,
Que dégoût, fâcherie, et mécontentement ;
Ou, s’il y prend plaisir, chose peu durable, [sic]
Et qui souvent enfin lui est désagréable,
C’est comme cet enfant prodigue et égaré,
Qui s’étant de son père à son dam séparé,
Ne pouvait contenter ses désirs faméliques
En mangeant des pourceaux les gouffres et siliques ;
Et se voyant ainsi pressé d’extrême faim,
Sans cesse il regrettait de son père le pain,
Connaissant bien alors que toute autre pâture
Ne lui pouvait donner utile nourriture.

Mais ceci ne se doit entendre seulement
Pour quelque vaine étude, ains [mais] généralement
Pour tout bien et plaisirs qu’on voit en ce monde être,
Dont l’homme ne se peut contenter ni repaître.
Aussi Dieu ne l’a pas créé pour cette fin,
Ains [mais] pour heur bien plus grand, c’est à savoir, afin
Qu’au seul souverain bien il aspire et prétende,
Qu’il le cherche par foi, le connaisse et l’entende,
Et qu’en le connaissant, il l’aime entièrement ;
L’aimant, qu’il le possède enfin heureusement ;
Puis en le possédant en gloire supernelle,
Qu’il en ait jouissance heureuse et éternelle.

De quoi je le supplie enfin vous faire part,
Très illustre princesse, à qui tant il départ
De ses plus rares dons ; entre lesquels je prise
Surtout l’heur qu’il vous fait d’être si bien apprise
En tout ce qui conduit à vertu et savoir,
Choses qu’on doit chercher et désirer avoir
Trop plus que les honneurs et richesses du monde.
Aussi n’y a[-t-]il rien qui égale et seconde
La science et vertu, vu que c’est l’ornement
Qui dure en sa beauté perpétuellement,
Et qui pare trop mieux que la riche couronne
Qui les Rois embellit et leur chef environne ;
Car celle-là ne sert que pour un peu de temps,
Mais ce beau trésor s’y [trésor-ci] rend à jamais contents
Ceux qui en sont ornés, leur donnant grâce telle
Qu’il les faits jouissants d’une gloire immortelle.
Et si pour l’acquérir, ils ont eu paravant
Quelque peine et travail, comme il advient souvent,
Il leur rend bien après heureuse récompense
De plaisir et repos plus grand que l’on ne pense.

Or ayant donc choisi ce chemin vertueux,
Bien qu’il soit plus étroit que le voluptueux,
Poursuivez-le toujours, ô Princesse bien née,
Afin que la faveur que Dieu vous a donnée,
Puisse enfin parvenir à tel accroissement
Que ce soit à la gloire et à l’avancement
Du sang Royal de France, ainsi que le désirent
Tout ceux qui de bon cœur s’efforcent et aspirent
À vous faire service en tout humble devoir.
Duquel nombre je suis, or que je n’ai pouvoir
De faire aucune chose assez louable et digne,
Selon votre grandeur excellente et insigne ;
Pour le moins vous verrez ma bonne volonté
Par ce petit Livret qui vous est présenté.
Auquel je vous supplie être si favorable,
Que lui fassiez cet heur de l’avoir agréable,
Comme j’ai quelque espoir, attendu mêmement
Que votre gracieux et doux commandement,
A guidé jusqu’ici cette mienne entreprise ;
Car j’ai trop mieux aimé être à bon droit reprise
D’avoir mis en avant cet ouvrage imparfait,
Que votre volonté ne sortît son effet,
Vu qu’à jamais je veux de toute ma puissance
Vous rendre une très humble et prompte obéissance,
Comme vous méritez, et comme je le dois :
Non tant pour être fille et sœur d’un si grand Roi,
Que pour cette vertu où votre cœur aspire,
Que j’estime trop plus qu’un Royaume ou Empire.

Fin.



Anagramme du Nom de Madame

Margareta a Francia : Femina grata ac rara [«Femme aimable et rare»]



Sonnet

Combien est le lys royal de France
Favorisé des astres et des cieux,
D’avoir produit en si grand excellence
Cette Princesse agréable à nos yeux,

De qui l’esprit gentil et gracieux
Est décoré d’une beauté immense,
Ayant en soi le trésor précieux
De piété, de vertu et science.

Bref cette Perle et noble Marguerite
Est de tel prix, excellence et mérite,
Qu’on ne la peut à autre comparer ;

Aussi celui qui de dons l’environne
Lui veut en terre et au ciel préparer
Une Royale et illustre couronne.

Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions). Traduction latine de Catherine Magnien.

mis en ligne le 18.1.2012


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