MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot Un site présenté par Eliane Viennot |
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Les ami/es de Marguerite
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Guillaume Gosselin, traducteur de L’Arithmétique de Nicolas Tartaglia Brescian, grand mathématicien, et prince des praticiens… Recueillie, et traduite d’Italien en François, par Guillaume Gosselin de Caen. A la très-illustre et vertueuse Princesse Marguerite de France, Royne de Navarre. Paris, Gilles Beys, 1578. |
À TRES ILLUSTRE ET VERTUEUSE Princesse MARGUERITE de France, Reine de Navarre. Madame, l’homme duquel l’action ne dépend point de fortune ou de quelque autre cas accidentel, mais d’une règle toujours semblable et bien ordonnée, aperçoit en soi manifestement qu’à toute heure il s’incline à mettre son affection pour révérer, non pas un seul mais plusieurs, sans premièrement avoir eu accès ni familiarité avec eux, même encore le plus souvent sans les avoir vus, [mais] seulement pour en avoir ouï parler et faire mention de quelques vertus particulières qui reluisent en eux. Tellement que cette affection a si grande force, qu’on a vu plusieurs se départir de leur propre pays, pour aller trouver ceux, la vertu et commémoration desquels les avaient émus et incités à ce faire. Or, Madame, combien que mon action ne soit pas si bien réglée, si est-ce qu’après avoir ouï faire récit de votre singulière piété, et entendu le témoignage que portent tous les hommes doctes qui sont ordinairement autour de votre Majesté, comme vous prenez tout votre plaisir et récréation à ouïr lire, discourir et entendre les bonnes lettres, et principalement les Mathématiques (qui est la seule occasion pour laquelle il plut à votre Majesté de retenir monsieur Gosselin, mon parent, pour l’un de vos fidèles serviteurs et domestiques); davantage: que votre Majesté a l’esprit si bon et si clair qu’elle comprend facilement les plus beaux et les plus difficiles passages de la connaissance du Ciel, alors, je n’ai pas été seulement ému ou incité à vous servir et honorer, mais tout à l’instant un désir infatigable m’a pris de mettre toute mon étude à l’intelligence de ces divines Mathématiques, estimant par ce moyen pouvoir faire un jour connaître à votre Majesté comment je me dédie du tout à icelle. L’Aigle vainqueur n’engendre pas Aussi est-il impossible que votre Majesté, qui est venue d’un roi si généreux et tant amateur des Lettres, se contente seulement de priser et aimer les hommes doctes, mais aussi ne veuille être du nombre d’iceux. Et tout ainsi qu’un arbre bien planté fasse de nouveaux fruits à la République Française, et soit exemple à tous de vertu, sagesse et rare doctrine des meilleures sciences, considéré, même, que le fruit se forme à la façon de son Prince et Seigneur, poursuivez donc, Madame, et embrassez aussi bien toutes les autres parties des Mathématiques que vous avez poursuivi l’Astronomie et Astrologie, lesquelles ne sont pas moins subtiles, délectables et dignes de votre Majesté, que ces deux. Vous connaissez que toutes les parties des Mathématiques sont liées et enchaînées tellement ensemble, que celui qui n’entend l’une, à peine [difficilement] peut-il parfaitement comprendre les autres. Et tout ainsi que les gouttes de plomb coulent tout incontinent les unes après les autres, ainsi ces parties (à savoir Arithmétique, Musique, Algèbre, Géométrie, Optique, Pneumatique, Automatopitique, Mécanique, Géométrique, et finalement l’Astronomie) s’entresuivent l’une l’autre. Toutefois, nous n’avons pas eu encore cet heur de pouvoir recouvrir les Pneumatiques et Automatopitiques, sur lesquelles parties Héron [d’Alexandrie] et Ctésibe [Ctésibios d’Alexandrie] ont mis la main. Encore ce qu’en a divinement écrit Ctésibe est perdu sans espérance qu’il soit mis jamais en lumière. Quant est de ce qu’en a touché Héron assez amplement, j’ai entendu de quelques hommes doctes et d’autorité qu’il y en peut avoir quelques fragments en la bibliothèque du Roi. Ces parties de mathématique sont, avec l’Algèbre et Perspective, les plus subtiles et de plus grande délectation. N’est-ce pas une chose admirable de feindre la voix de quelconques sortes d’animaux, ou par le vent, ou par l’eau? Et par ce moyen, faire confesser aux philosophes obstinés qu’il se donne nécessairement quelque vide en la nature. Faire voler une Colombe de bois, comme fit jadis Archytas de Tarente, ou faire marcher un Aigle de fer en l’air, et faire voler une Mouche, comme a fait ce Grand Mathématicien régiomontan, voilà ce qu’enseignent les Pneumatiques et Automatopitiques. Ne semble t-il pas être une chose totalement répugnante à la Nature, que de dissoudre toutes questions proposées, tant difficiles qu’elles soient, et ce même d’une chose qui ne peut être comme si elle pouvait être, et s’en servir généralement en toutes questions et problèmes? Entendre ce qui ne se peut faire, et ce que la Nature ne peut endurer, quelles choses sont toutes ses dignités qui passent le Solide, et toutefois, par la vertu de ces hypothèses et positions qui ne peuvent être, venir finalement à la connaissance de ce qu’on demande? Ceci enseigne cette divine Algèbre, en laquelle une Reine d’Alexandrie Hypatie a été si excellente (ainsi que dit Suide [la Souda]), qu’elle a osé commenter sur le plus difficile livre qui pourra jamais être composé, c’est à savoir sur le Diophante, qui traite de cette partie, néanmoins que ses commentaires ne soient venus jusqu’en nos mains. N’est-ce pas une chose qui semblerait du tout impossible, ou qu’un chacun penserait être faite par sort et Magie, de faire marcher en l’air toutes sortes d’effigies [statues] et simulacres, tellement qu’il serait avis à celui qui le verrait (et ne s’aviserait du jeu) que la représentation de cette image serait la même chose en chair et os. Par le moyen de quoi, ainsi que je crois, plusieurs affronteurs ont trompé infinies personnes, leur voulant faire voir les neuf Preux tels et si furieux qu’ils furent jamais en bataille, et toutefois ils ne font cela que par le moyen d’un miroir connexe en forme [de] colonne en pyramide, et de quelques tableaux, où sont portraits [peints] ces neufs Preux tels qu’ils les veulent représenter, ainsi que démontre Vitellion en la dernière proposition du VII. N’est-ce pas une chose belle, de connaître la vertu de toutes sortes de miroirs, et entendre que, selon la force des rayons jetés par droite ligne, par réflexion ou par réfraction, selon la force ou débilité du rayon, quelque fois la chose est vue telle qu’elle est, quelque fois plus grande ou plus petite, aucune fois avec couleur, comme l’Iris, qui est vu sous trois couleurs et jamais sous davantage, ainsi que démontre Vitellion en la LXVII du X? Et semblablement, tout est venu avec un hexagone de verre ou de cristal, ainsi que démontre le même Vitellion en la LXXXIII du même X. Aucune fois, la chose est vue avec lumière, comme on peut voir de nuit avec quelque globe de cristal ou fiole pleine d’eau, derrière laquelle, si on met une chandelle, on pourra lire en un beau jour fort bien, tant que s’étendra le rayon, quelquefois jusqu’à deux cent pas loin de la fiole, selon la capacité de la sphère et grandeur de la lumière. Quelquefois, la chose est vue en feu, ainsi qu’on peut éprouver avec un miroir sphérique concave, qui soit exposé au soleil, comme dit Vitellion en la LXVIII de VIII, et Euclide au XXXIe Théorème de la Catoptrique, ou bien par le moyen de l’intersection de plusieurs miroirs sphériques concaves, ou d’autres miroirs pyramidaux, ainsi que dit le même Vitellion en la Proposition trente-septième et trente-huitième du Neuvième livre. Lesquelles considérations de ces trois Parties principales et un peu plus subtiles sont véritablement belles, divines et dignes de votre Majesté. Et à la mienne volonté, [je voudrais] que l’injure du temps n’eût été si grande et que nous pensions avoir entre les mains la perspective de cet admirable mathématicien Ptolémée. Votre Majesté prendrait plaisir à considérer ces divins effets de Nature, que ledit Ptolémée a heureusement poursuivis par beaucoup de Problèmes admirablement ingénieux, façons et belles constructions de miroirs, lesquelles choses nous pouvons seulement, pour cette heure, désirer.
Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions; quelques alinéas créés dans les textes longs). mis en ligne le 12.1.2012 |
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