MARGUERITE DE VALOIS, dite la reine Margot

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Les ami/es de Marguerite

Guy Le Febvre de La Boderie

Discours de l’honneste amour sur la Banquet de Platon. Par Marcile Ficin. Traduits de Toscan en François par Guy Le Fevre de la Boderie, secrétaire de Monseigneur frère unique du Roy et son Interprete aux langues Peregrines. A la serenissime Reyne de Navarre… Paris, Jean Macé, 1578.

À la sérénissime Reine de Navarre, Marguerite de France, fille, sœur et épouse de Roi.

Madame, le divin Platon, duquel la mémoire est célèbre en ce Banquet philosophique, étant quelquefois interrogé jusques à quand il le faudrait arrêter à ses sentences et graves enseignements, répondit en ces termes: jusques à temps qu’en la terre apparaisse quelqu’un plus saint et sacré, qui enseigne la voie de la vérité que tous ensuivent. Ce que Marsile Ficin, auteur du présent discours, a interprété comme oracle prophétique se devoir entendre de notre Seigneur Jésus-Christ, qui de toute éternité a été et est la sapience éternelle de Dieu le Père, et qui en la plénitude des temps par le sacré mystère de l’Amour éternel et divin, a voulu vêtir le manteau de notre humanité laquelle il a prise au sacraire et Tabernacle de la trois fois heureuse Marie, de laquelle le beau nom retrouvé ne sonne rien que AIMER, comme il me souvient avoir chanté en quelques stances d’un mien cantique:

••••••Bel est le nom de Jésus le Sauveur,
••••••Mais celle-là qui a eu la faveur
••••••••••••D’attirer à soi
••••••L’Amour, l’Aimé, l’Amant,
••••••••••••A eu du grand Roi
••••••Des beaux esprits l’Aimant
••••••Nom convenable et de mérite orné,
••••••Car en Marie est retourné.
••••••Aimer a fait le Salut réclamer
••••••Voilà le bien qui vient de bien aimer.

Icelui donc, étant apparu en terre, nous a montré le chemin de la vérité que tous doivent ensuivre. Ainsi, comme il témoigne de soi-même, il a été la voix, la vérité et la vie. Et pourtant, c’est bien raison que nous apprenions de lui, plutôt que de Platon ni de quelconque autre Philosophe, les discours du vrai, sincère et parfait Amour, et le moyen de bien aimer. Je dis ceci non pour improuver du tout les harangues de Platon, [et encore] beaucoup moins le traité de Marsile Ficin sur cette matière d’Amour, mais afin que tous, à votre imitation, apprennent que c’est de lui proprement et de la doctrine sainte qui n’est qu’amour et charité inspirée de l’Amour même, qu’on doit puiser les enseignements pour devenir vrais et loyaux amoureux. Or, comme ce festin et Banquet platonique fut autrefois célébré en somptueux et Magnifique appareil par neuf personnages signalés et excellents en toutes vertus et doctrines, sous autorité et aveu du magnifique et illustre Laurent de Médicis, à la mode et façon de la Toscane, ainsi, Madame, sous l’aveu et par le commandement de votre sérénissime Majesté, se verra derechef instruit et dressé à la Française des propres mets et viandes [nourritures] spirituelles qui autrefois y furent servies, auxquelles tant s’en faut que le long temps qui s’est écoulé depuis ait apporté quelque empirance; que plutôt, au repli d’un siècle, elles ont conservé et augmenté le premier goût et saveur. De sorte qu’elles pourraient maintenant, aussi bien que jamais, satisfaire à tout appétit et palais non dépravés de mauvaises mœurs ni humeur, et [pourraient] bien princes se convertir en bonne et salubre nourriture des Âmes, de l’Amour vrai saintement énamourées.

Cette façon de Banquet Philosophique jadis entre les hommes doctes était fort célébrée et accoutumée, ainsi qu’on peut recueillir non seulement de ce présent discours, mais aussi de Plutarque et d’Athénée, auteurs grecs de première marque; laquelle fut renouvelée et remise sus ensemble avec les bonnes lettres, auparavant ensevelies en la Barbarie, par la faveur de la très illustre maison pour ce fait à jamais mémorable et recommandable à la postérité des ducs de Médicis, entre la fleur des beaux esprits florissants pour lors à Florence. Maintenant, à leur exemple, sous l’aveu de votre Majesté, Madame, qui des deux parts [côtés] êtes extraite des deux premières maisons, auxquelles avant toutes autres appartient l’honneur du rétablissement des bonnes lettres, par l’aide de la Bonté divine elle pourra désormais être continuée et entretenue de bien en mieux. Et veuille Dieu que, non plus en mémoire de la naissance et du trépas de Platon (jadis vraiment digne, si quelque autre philosophe l’a été, de tant honorable témoignage), mais bien en souvenance et recordation [mémoire] de la Naissance et Mort admirable du parfait auteur et d’amour et de vie, se puisse à jamais perpétuer cette louable façon de discourir, non de l’origine d’Amour à la Platonique seulement, ni des quatre sortes de ravissement d’Esprit dont est faite mention en ce Traité, mais de l’origine éternelle et temporelle naissance du vrai Amour à la Chrétienne, et de la parfaite extase et ravissement de Pensée, par lequel [lesquels] les Âmes fidèles enamourées sont abstraites et élevées jusqu’au baiser sacré du parfait Amant. Duquel le roi qui porta le nom de Pacifique entre les Hébreux chantait jadis en cette manière: «qu’il me baise et qu’il me touche du saint baiser de sa bouche.» Des effets et de la puissance merveilleuse de cet amour divin, à l’imitation du grand Hiérothée [d’Athènes] et de notre saint Denis, en mes cantiques spirituels j’ai quelquefois chanté les vers qui ensuivent:

••••••Hommes mortels heureux, si d’Amour mutuel
••••••Par ensembles conjoints sans envie et querelle,
••••••Et de franche amitié, sans fraude et sans amer
••••••Débonnaires et doux ils se voulaient aimer,
••••••Lors reviendraient ici, toutes choses changées,
••••••Les bons siècles dorés, sans noises mélangées ;
••••••Lors rien ne défendrait, en paix et en santé ;
••••••Les hommes jouiraient de tous biens à planter ;
••••••Les richesses de gré ruisselleraient, écloses,
••••••Et tous hommes contents auraient lors toutes choses.
••••••Car tous n’auraient qu’un cœur, tous un même vouloir,
••••••Et l’un ne se pourrait d’un autre homme douloir [souffrir].
••••••La sacrée faim de l’or, l’avarice goulue
••••••De toujours acquérir, la volupté pollue,
••••••Les embûches, le dol, les larcins et le soin,
••••••D’entre tous les humains, seraient bannis au loin.
••••••Car tous de s’éjouir auraient lors cause même,
••••••Même de se douloir un seul salut suprême,
••••••Et un péril à tous, un seul labeur commun ;
••••••Et tous triompheraient de la gloire, comme vu.
••••••La race des mortels seraient sans tant de cures ;
••••••Toutes choses seraient entre les hommes sûres ;
••••••Ils vivraient assurés, sans meurtres ou efforts,
••••••Et les faibles n’auraient à craindre des plus forts.
••••••Lors la paix fleurirait partout en évidence,
••••••Et tout plein coulerait le cornet d’abondance.
••••••Voilà les fleurs, les fruits, l’entretien et le cours
••••••De charité, de paix, de l’Amour des Amours.
••••••C’est cet amour doré qui donne à tous les hommes
••••••Tout cela qui leur sert ; c’est lui par qui nous sommes,
••••••Lui par qui nous naissons, lui par qui nous vivons,
••••••Lui par qui reposons, et par qui nous mourons.
••••••C’est l’amour seul, lequel nous fait de Dieu présente[s]
••••••La grâce et la faveur, et de mal nous exempte,
••••••Voire encore la faveur, la grâce et le support
••••••Duquel nous jouissons, et qui d’un lien fort
••••••Nous joint le Dieu ami, ou nous donne matière,
••••••Repurgés de nos maux, d’entrer en grâce entière,
••••••N’est rien sinon Amour ; et la Divinité,
••••••C’est cet Amour, ce Dieu triple en son Unité
••••••Qui partout est diffus. L’Amour tout lie et serre.
••••••Il meut le Ciel, le Feu, l’Air, les Eaux et la Terre.
••••••Tout puissant le Repos des hommes et des Dieux
••••••Qui confit tout en miel et n’a rien d’odieux.

Voilà, Madame, quelques marques des effets et de la puissance de l’honnête et saint amour, duquel philosophiquement est discouru en ce délicieux banquet. Quant à l’Amour vulgaire, c’est un sujet si commun et tant démené par nos poètes, qu’il semble, comme ont bien dit quelques-uns d’entre eux, que jusqu’ici ç’ait été la Philosophie de France: chacun à qui mieux mieux s’employa à rapporter toutes les belles et gentilles conceptions de son esprit. Mais j’espère que désormais telles viandes [nourritures] leur apporteront ennui, et chercheront de se ragoûter en tels mets que ceux qui sont présentés en ce festin, quand ils verront que votre majesté se plaît et délecte aux plus douces et savoureuses viandes de l’âme, desquelles, étant rassasiée, elle demeure toujours en son appétit et en acquiert une nourriture et tempérament salubre et salutaire. À cela Dieu, la raison, la bonne nature et l’Amour même vous invite, voire même l’excellence de votre propre nom vous y semond [enjoint],

••••••Car l’Amant, l’aimé, l’amour même
••••••Qui est le Dieu unique en trois,
••••••Vous faisant par grâce suprême
••••••Fille, sœur et femme de Rois,
••••••Au triple rond de la couronne
••••••Qui votre beau chef environne
••••••A gravé par certaines lois
••••••En lettres d’or ce beau retour :
••••••En MARGUERITE DE VALOIS
••••••GISE LA VÉRITÉ D’AMOUR.

Je prie Dieu, Madame, qu’il vous donne, avec tant de perfections, tout accroissement de prospérité.
De Paris, ce XI jour de Mars 1578,
Votre très humble et très obéissant serviteur, Guy le Fèvre de la Boderie.

Texte établi par Sophie Cinquin, avec la collaboration d'Éliane Viennot (orthographe et ponctuation modernisées; majuscules respectées sauf cas introduisant des confusions).

mis en ligne le 15.5.2018


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