Un site présenté par Eliane Viennot

LA QUERELLE DES FEMMES


Revisiter la « querelle des femmes » : mais de quoi parle-t-on ?

(paru dans Revisiter la Querelle des femmes. Discours sur l’égalité/inégalité des femmes et des hommes, de 1750 aux lendemains de la Révolution, sous la dir. d'Eliane Viennot, avec la collaboration de Nicole Pellegrin. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2012)

Voir aussi le livre La Querelle des femmes, ou “N'en parlons plus”, éd. iXe, 2019,
reprise très remaniée et augmentée de cet article.


On dit: «les femmes ne sont pas assez intelligentes pour exercer les professions viriles.» […] La réponse, c’est: «Eh bien! alors!» Si elles ne sont pas assez intelligentes pour exercer ces fonctions, que craignez-vous d’elles? Laissez-les faire! Elles s’y casseront le nez et vous serez triomphants! […] On dit: «Jamais les femmes n’ont eu de génie! Elles n’ont ni écrit l’Iliade, ni peint la chapelle Sixtine, ni découvert l’attraction.» L’argument est puéril […]. Il s’agit de plaider des causes, de soigner des pneumonies, de juger des procès, d’écrire des articles et des romans, de professer la littérature et la physique, de préparer des remèdes dans une officine de pharmacien. Jamais il n’a fallu de génie pour tout cela. […] «Mais les femmes sont impropres aux affaires politiques, n’ont pas la capacité politique, parce qu’elles n’ont pas d’idées générales.» Il faut un peu rire de temps en temps. Cette objection nous donne ce plaisir salutaire. C’est en vertu d’idées générales que les hommes votent dans leurs comices? […] Il est naturel, dans un pays de suffrage universel, que le suffrage soit universel.» (Émile Faguet, de l’académie française, Le Féminisme, 1910, p.7, 8, 16)

 De la fin du Moyen Âge aux premières décennies du XXe siècle, l’Europe d’abord, puis le monde qu’elle influençait ont été le théâtre d’une gigantesque polémique sur la place et le rôle des femmes dans la société. Du coup de gueule à l’essai en bonne et due forme, en passant par les discussions argumentées, les pamphlets, les représentations théâtrales et picturales, cette polémique a vraisemblablement mis aux prises des millions d’hommes et de femmes de par le monde, autour de la double question de l’égalité (ou de l’inégalité) des sexes, et de leur différence (ou de leur similarité). Qu’elle soit feutrée ou violente, qu’elle prenne un tour sérieux ou cocasse, qu’elle recoure à des arguments rationnels ou à des émotions, elle s’est développée en écho aux efforts concrets des acteurs et actrices de la société pour empêcher, ou au contraire pour permettre l’accès des femmes et des hommes aux mêmes activités, aux mêmes droits, aux mêmes pouvoirs, aux mêmes richesses, à la même reconnaissance. Issue de ces luttes, les accompagnant, les provoquant parfois, les formulant, les réorientant, elle a porté sur à peu près tous les terrains, du pouvoir suprême aux relations amoureuses, en passant par le travail, la famille, le mariage, l’éducation, le corps, l’art, la langue, la religion… Elle a mobilisé des théologiens, des médecins, des philosophes, des romanciers, des dramaturges, des poètes, des hommes politiques, des journalistes, des éducateurs, des historiens, des juristes, des professeurs… sans parler de leurs collègues et de leurs proches des deux sexes.

Cette gigantesque polémique, dont des milliers d’ouvrages ont conservé la trace et à laquelle ont participé beaucoup d’auteurs parmi les plus célèbres, est aujourd’hui fort mal connue. Le grand public n’en a jamais entendu parler. Les étudiant/es et leurs enseignant/es non plus, dans l’écrasante majorité des cas. Malgré l’ampleur du chantier qu’elle représente (plusieurs siècles, plusieurs pays, plusieurs moyens d’expression relevant de plusieurs disciplines…), malgré les répercussions qu’elle a eues en termes de formatage des sociétés et des esprits quant à leurs manières de penser et d’organiser les relations entre les sexes (formatage dont nous peinons toujours à nous dégager), elle n’a guère été étudiée que par une poignée de chercheurs et chercheuses depuis un siècle et demi, du moins jusque récemment. Renouveau dans lequel s’insère le présent volume et ceux qui le suivront.

Une historiographie en dents de scie

Les premiers à s’y intéresser ont été, à la fin du XIXe siècle, des critiques littéraires spécialistes du Moyen Âge et de la Renaissance, confrontés à la masse des écrits produits sur les femmes, à leur aspect répétitif, à leur virulence, «fatras» que quelques bons esprits venaient de faire resurgir, à travers de volumineuses anthologies[1]. Confrontés, aussi, à quelques œuvres majeures qui évoquaient cette dispute et y concouraient délibérément, du côté des féministes[2]. Le nom de Querelle des femmes qui lui fut donné (et qui n’est pas une reprise de la terminologie ancienne[3]) semble s’être imposé dans les années 1880, à la suite des travaux d’Arthur Piaget, qui passa sa vie de chercheur à en repérer les échos au XVe siècle et consacra une bonne partie de ses recherches à l’un des grands contradicteurs des misogynes, Martin Le Franc, auteur en 1441 d’un vaste poème où pratiquement tous les thèmes de la Querelle étaient débattus, Le Champion des dames[4]. Dans les trois premières décennies du XXe siècle, ce sont les connaisseurs de l’œuvre de Marguerite de Navarre qui se penchèrent sur la question, la sœur de François Ier ayant été l’épicentre d’une «querelle dans la querelle»: celle des Amyes, qui, selon le résumé d’Abel Lefranc, «passionna les esprits de 1542 à 1550 ou environ, et qui divisa, à la cour et à la ville, la presque totalité des écrivains français […] aussi bien que leurs lecteurs[5].» Enfin, durant la même période, la polémique fut observée dans les œuvres de la première femme connue à être descendue dans l’arène, Christine de Pizan (1365-1431), à l’occasion de la montée en puissance de ses spécialistes, notamment les premières femmes qui lui consacrèrent une thèse[6].

Visiblement liée à la pugnacité du mouvement féministe sous la IIIe République et aux études nombreuses qu’il suscita parmi les intellectuels des deux sexes, la curiosité pour la Querelle paraît ensuite s’être plus ou moins éteinte avec son reflux, jusqu’à sa réémergence dans les années 1970[7]. Deux exceptions néanmoins, durant ce long entre-deux[8], deux travaux américains[9]: celui de Michael Screech, consacré à trois auteurs français de la Renaissance (Rabelais, Érasme, Billon), et celui de Ruth Kelso, centré sur les traités européens visant à définir – et fabriquer – la femme parfaite de cette période. La «délocalisation» hors de France de l’étude de la Querelle n’a fait ensuite que s’accentuer, alors même que, de l’avis de tous les spécialistes, ce pays en avait été le principal foyer, du moins à l’origine. Lorsque les études reprennent, en effet, elles sont menées majoritairement par des chercheurs et des chercheuses d’autres pays: Germaine Brée (Women Writers in France, New Brunswick, 1973), Marc Angenot (Les Champions des femmes, Montréal, 1977), Éric Hicks (Débat sur le Roman de la Rose, Paris, 1977 – mais le regretté chercheur était Suisse), Ian McLean (Woman triumphant: Feminisn in French Literature, Oxford, 1977). Avant les années 1980, en France, c’est seulement dans les histoires du féminisme que la dispute sur la place et le rôle des femmes est évoquée, notamment celle, si importante pour la période et les générations suivantes, de Maïté Albistur et Daniel Armogathe (Histoire du féminisme français du Moyen Âge à nos jours, 1978).

Depuis cette époque, les travaux se sont poursuivis, en langue anglaise sous l’impulsion de l’article majeur de Joan Kelly, «Early feminist theory and the “Querelle des Femmes”, 1400-1789» (1982), et surtout en langue allemande, dans le sillage des études de Claudia Opitz, Margarete Zimmermann et Gisela Bock (années 1990 et 2000)[10]. En France, quarante ans après le redémarrage des études féministes, le sujet semble toujours difficilement abordable. Si l’on en croit les catalogues de la BnF et l’instrument encore très imparfait qu’est la «Bibliographie de la Querelle» élaborée par la SIEFAR (Société internationale pour l'étude des femmes de l'Ancien Régime), reproduite en fin de ce volume, aucune étude ne lui a été spécifiquement dédiée, aucun numéro de revue, aucun colloque jusqu’en 2008 (celui dont est issu le volume qu’on tient entre les mains), et les principaux travaux américains et allemands n’ont pas été traduits. L’expression querelle des femmes elle-même est fort rarement affichée dans les travaux de la communauté universitaire, y compris lorsqu’elle en traite. Les précieuses anthologies de textes publiées par les deux auteurs de l’Histoire du féminisme français, par un groupe de chercheurs et chercheuses lillois et par Arlette Farge, s’intitulaient respectivement Le Grief des dames (1978), La Femme dans la littérature française et les traductions en français du XVIe siècle (1971), et Le Miroir des femmes (1982-1984)[11]. La grande thèse de Linda Timmermans sur L’Accès des femmes à la culture (1598-1715), publiée en 1993, explore l’un des principaux sujets de la Querelle, ses 900 pages sont pleines des chocs entre partisans et opposants de l’éducation féminine, entre féministes et antiféministes, et elle fait une large place aux liens entre discours et réalité; mais l’ouvrage est sous-titré Un débat d’idées, de saint François de Sales à la marquise de Lambert[12]. Des trois articles comportant l’expression querelle des femmes dans leur titre parus dans des publications françaises au cours des quarante dernières années, seul le plus récent est d’une chercheuse française[13]. Quant au seul ouvrage comportant l’expression dans son titre, il est dû à une romancière et essayiste[14].

Autant de traits qui ne sont guère surprenants dans un champ d’étude qui demeure mal reconnu des institutions de recherche, mal accepté (car soupçonné de féminisme, celui-ci paraissant toujours incompatible avec une approche rigoureuse), et par ailleurs historiquement caractérisé par une très faible cohorte de spécialistes de l’Ancien Régime – seule période marquée de bout en bout par la Querelle. Autant de raisons, pour la Société Internationale pour l'Étude des femmes de l'Ancien Régime, née en l’an 2000, de reprendre ce chantier. D’autant que, si la petite communauté qui s’y consacre s’étoffe peu à peu, elle n’est guère unie sur ce qu’elle en dit.

Accords, désaccords, incertitudes : les interprétations de la Querelle

  • Est-ce bien sérieux?

Le premier désaccord – important, mais qui pourrait être en voie d’extinction – touche au sérieux de cette dispute, au double sens des intentions de ses protagonistes et des relations entre leurs propos et le réel des relations entre les sexes. Si les premiers chercheurs, Arthur Piaget et Abel Lefranc entre autres, n’avaient aucun doute sur les intentions des uns et des autres, la thèse inverse a été soutenue à la fin des années 1930 et elle s’est imposée longtemps. Le fait que certains auteurs, dès le Moyen Âge, aient alternativement soutenu des positions pro et contra, l’ampleur du recours à toutes les formes de comique, d’humour et d’ironie dans les deux camps, l’aspect libidinal de certaines ratiocinations, le sottisier produit par les uns, la composante parfois paradoxale des arguments des autres… ont conduit des critiques à penser que les auteurs s’amusaient bien souvent, même si, régulièrement, ils étaient pris au pied de la lettre par certain/es de leurs contemporain/es – comme par certain/es de leurs exégètes modernes. De là à soutenir que ces gens n’avaient aucunement l’intention de modifier l’état des rapports de force entre les sexes, et à suggérer qu’ils n’ont eu aucune part dans la transformation de ces rapports, il n’y avait qu’un pas, qui a souvent été franchi. «Le féminisme est né d’un antiféminisme littéraire et fictif», écrivait Émile Telle à la fin du chapitre introductif de sa thèse, consacré à «La Querelle des femmes au Moyen Âge», avant d’entamer le suivant par ce commentaire: «elle n’était pas près de s’éteindre»[15]. Que de bruit pour rien, autrement dit! Ou plus exactement: que de littérature!

Cette position, qui renvoyait dans le camp des naïfs les personnes prêtes à prendre au sérieux «une dispute entre écoliers[16]», qui dédouanait les intellectuels misogynes de toute responsabilité dans le maintien (voire l’approfondissement[17]) de la sujétion féminine, et qui niait la valeur de l’action des féministes, a commencé d’être franchement contestée dans les années 1980, notamment par l’historienne Joan Kelly: «Les hommes penseraient-ils que c’est juste un sujet “littéraire” si les femmes avaient produit un tel corpus de textes exprimant le dégoût des hommes et du mariage pendant plusieurs siècles […]?[18]». Les critiques littéraires et les historiens de l’imprimé, de leur côté, ne croient plus en l’étanchéité de la littérature et de la société, et l’idée du simple «reflet» de l’une dans l’autre a depuis longtemps été abandonnée au profit d’analyses soulignant les interactions complexes entre les deux domaines. Du reste, si l’on met en relation (ce qu’incite évidemment à ne pas faire la thèse de la «fiction littéraire») ce flot de discours misogyne, ses sujets de prédilections, ses périodes de recrudescence et ses pics de virulence avec les dégradations de la condition juridique des femmes, de leurs conditions de travail, de leur accès à l’éducation ou au pouvoir politique, de leur intégrité physique (songeons au développement de la violence domestique et de la prostitution «à la fin du Moyen Âge») et même de leur survie (songeons à la chasse aux sorcières, qui commence véritablement au XVe siècle, et qui fut l’objet de beaucoup de traités), on observe des correspondances trop étroites pour que la thèse tienne la route. Si les émetteurs de discours haineux, ou simplement méprisants, ne pensaient pas à mal – ce qui reste à démontrer –, ils en ont au moins produit, et ils en ont cautionné! À l’inverse, les «champions des femmes» se sont rarement contentés de vouloir «éblouir en faisant preuve de galanterie», comme le résumait Marc Angenot dans la conclusion de l’étude qu’il leur a consacrée[19]. Si nous connaissons leurs arguments (et leur identité, alors que les ouvrages des misogynes sont bien souvent anonymes), c’est qu’ils les ont publiés; c’est qu’ils ont assumé les quolibets de leurs collègues; c’est qu’ils sont «entrés en lice» (pour filer la métaphore des premiers d’entre eux) afin de «défendre» les femmes – quitte à s’y battre avec les mêmes armes que leurs adversaires. Qu’ils n’aient pas toujours été plus rationnels qu’eux parait une évidence pour nous, qui vivons dans une société où le torrent des propos misogynes ne coule plus (et qui ne lisons pas forcément les textes dans leur état d’origine[20]). Il n’empêche que la rationalité – et l’humanisme, disait avec raison Joan Kelly – étaient quasi exclusivement de leur côté, et que même les plus surprenants des partisans des femmes ont combattu les adversaires de l’égalité: ils les ont défiés, ils les ont moqués, ils ont dénoncé les intérêts qui les motivaient, ils ont démontré la fausseté de leurs raisonnements, ils ont constitué des savoirs et forgé des argumentaires destinés à être diffusés et utilisés, et ils ont – last but not least – montré aux femmes qu’il n’y avait pas (tout à fait) de quoi désespérer de l’humanité. Ajoutons qu’ils ont gagné la bataille idéologique, puisque nous vivons aujourd’hui dans une société où tout le monde fait mine d’être favorable à l’égalité des sexes.

  • Les thèmes de la Querelle

Une seconde grande question concerne les nœuds de la Querelle – les sujets qui fâchent le plus. Ici, ses spécialistes sont plus dispersé/es que divisé/es, car il semble que tout dépende de la période que l’on considère. Il s’est dit longtemps, en suivant Émile Telle, qu’entre la fin du XIIe siècle et la fin du XIVe, les débats se sont essentiellement focalisés sur «le problème de l’amour et du mariage[21]» – peut-être en raison de l’importance accordée au De amore d’André le Chapelain, premier traité où coexistent deux positions antagonistes. Mais si l’amour et le mariage constituent les sujets à propos desquels il y a débat, ce qui est en question c’est la «nature des femmes»: selon ce qu’on en pense, on ne s’engage pas de la même manière (voire on ne s’engage pas du tout) dans un lien amoureux ou matrimonial. Le classement opéré par Théodore Lee Neff[22] pour rendre compte des thèmes abordés par les poètes détracteurs du sexe féminin dit assez qu’ils l’estimaient mauvaise, cette nature, puisqu’il est parvenu à consacrer un chapitre par défaut: inconstance, stupidité, loquacité, frivolité, gloutonnerie, vanité, entêtement, ingratitude, caractère vindicatif, convoitise… À quoi les premiers détracteurs des détracteurs, choqués par ce recyclage des vieux poncifs, répondaient en faisant La Louange des femmes ou en alléguant la Bonté des femmes (titres donnés à plusieurs poèmes des XIIIe et XIVe siècles), recyclant pour leur part, au milieu d’arguments rationnels, la thèse d’une différence ontologique entre les deux sexes, à l’origine de celle de la supériorité du sexe féminin qui devait plus tard être souvent soutenue par leurs «champions». À partir de la fin du XIVe siècle, la Querelle s’élargit pour traiter de tout ce que les femmes peuvent ou ne peuvent pas faire, font ou ne devraient pas faire: porter les armes, conduire les peuples, enseigner aux lettrés, prophétiser… Enfin, à partir du XVIIe siècle, la dispute se concentrerait sur la question de l’éducation et de l’accès des femmes au savoir, en vertu de l’idée, émise avec force par Christine de Pizan en 1404 et reprise ensuite par tous les féministes, selon laquelle

Si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et de toutes les sciences tout aussi bien qu’eux.[23]

Ce dernier exemple montre néanmoins que le thème de l’éducation est là depuis l’origine ou presque. Il y a d’ailleurs fort à parier que, si on ne le voit pas traité sous cet angle avant Christine, c’est que les positions féministes étaient jusqu’alors élaborées dans les «chambres des dames», d’où la revendication ne pouvait pas surgir; et que les antiféministes traitaient avant tout des sujets qui les obsédaient (et divisaient leur communauté): l’amour, le mariage, c’est-à-dire l’accès aux femmes, ses conditions, son prix. Mais si l’on porte le regard du côté du monde religieux, on observe dès la fin du XIIe siècle de rudes débats sur la lecture de la Bible et son interprétation par les religieuses et les semi-religieuses (les béguines notamment), débats qui posent la question de leur formation[24]. En outre, dès que la revendication surgit pour les laïques, vu qu’elle est rationnelle et qu’elle rencontre l’expérience de tous les lettrés (qui savent ce qu’ils doivent à «l’école»), elle occupe une grande part de la bataille idéologique, et elle monte en puissance siècle après siècle, avec l’accès à l’éducation (différentielle mais effective) d’un nombre de plus en plus grand d’hommes et de femmes.

Le mariage et l’amour, quant à eux, ne quittent pas la scène non plus. Si ce qui a pu être identifié à la fin du Moyen Âge comme une «querelle du mariage» s’estompe à la Renaissance, c’est que la conjugalité, originellement interdite aux clercs (c’est-à-dire les savants passés par les «écoles», et autrefois tous promis à des carrières ecclésiastiques puisque formés par l’Église) est alors devenue monnaie courante grâce à la multiplication des offices laïcs. Le fantasme de l’épouse prenant le pouvoir sur l’époux et transformant sa vie en enfer tend à se dissoudre une fois la chose entrée assez largement en pratique, de la même façon que s’est évanoui, vers le milieu du XXe siècle, le fantasme des avocates, des doctoresses, des professeures ou des électrices forcément hideuses, forcément démissionnaires de leurs responsabilités parentales et ne rêvant que de transformer leurs époux en domestiques. Il n’empêche que la dixième Satire de Boileau, dite «contre les femmes» (1694), est dite aussi «contre les femmes et le mariage», puisqu’elle prend pour cible un homme sur le point de se marier, à qui l’auteur prédit toutes les humiliations – en vertu de la nature des femmes. Et qu’on trouvait encore utile de faire paraître, en 1891, cent douze pages de Pensées diverses & de toutes saisons pour ou contre l'amour, les femmes, le mariage et le reste.

Quant aux autres grands sujets de dispute, comme l’exercice du pouvoir suprême, le maniement des armes, la capacité à produire de grandes œuvres, la maîtrise du savoir, l’incarnation de la volonté divine…, il n’est qu’à observer le contenu des innombrables recueils de femmes célèbres qui ont fleuri entre le De claris mulieribus (Boccace v. 1360) et l’Histoire des femmes médecins depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours (Lipinska, 1900), pour se convaincre qu’aucun de ces thèmes n’a cédé du terrain dans l’intervalle. En témoignent, parmi des dizaines d’autres (un ouvrage par siècle suffira ici[25]): La cité des dames (Christine de Pizan, 1404), Les Vies des femmes célèbres (Dufour, 1504), l’Éloge des illustres savantes (Buffet, 1668), L’Histoire des dames lettrées qui ont travaillé pour le Théâtre depuis son origine jusqu’en 1780 (de Mouhy, 1780), Les Femmes militaires de la France depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (Tranchant & Ladimir, 1866)… Les hommes en position de décider s’attachant à empêcher les femmes d’exercer ces activités, et les discours dominants leur en niant la capacité, ces ouvrages ont rappelé, décennie après décennie, que l’histoire des femmes prouvait le contraire.

  • La chronologie de la Querelle

Une autre incertitude, si ce n’est un vrai désaccord, porte sur la période couverte par la Querelle. À l’exception d’Helen Solterer[26], peu de critiques, semble-t-il, s’intéressent véritablement à son existence au Moyen Âge, alors que la floraison des discours misogynes est attestée depuis longtemps par les spécialistes de la littérature médiévale: «Les trouvères prenaient souvent, au XIIIe siècle, les femmes pour objet de leurs railleries. Toute une littérature misogyne – ou d’apparence misogyne – pullula donc à cette époque», écrivait René Herval au début des années 1960, à propos d’une riposte à l’un de ces poèmes particulièrement virulent[27]. La plupart des études sur la Querelle nominalement reliées au «Moyen Âge» traitent d’ailleurs du XVe siècle, c’est-à-dire en réalité de la Renaissance. Il y est souvent rappelé en introduction que la Querelle vient de loin: que l’Antiquité a fourni le fonds (d’un côté Aristote, Ovide, Juvénal, certains pères de l’Église…, de l’autre Plutarque, Valère Maxime…); qu’elle est visible dans les deux parties antagonistes du De Amore (v. 1185); qu’on connaît des ripostes à quelques œuvres bien misogynes du XIIIe siècle; qu’elle s’affiche dans le Roman de la Rose (dont la seconde partie, misogyne, de Jean de Meun, n’est qu’un féroce détricotage de la première, philogyne, de Guillaume de Lorris).

De fait, l’incertitude sur le terminus a quo de la Querelle ne paraît pas poser problème, d’autant que le «Moyen Âge» continue d’être associé à des images ténébreuses. Il semble compréhensible, si ce n’est pardonnable, que nos lointains ancêtres se soient laissés aller à écrire des sottises sur les femmes (et que, du coup, d’autres aient regimbé): des auteurs respectables l’avaient fait avant eux, ceux qui menaient la danse n’avaient le plus souvent pas accès aux femmes respectables, ils n’avaient pas tant d’occasions de rire que cela, etc. En revanche, lire en toutes lettres, dans des œuvres de la seconde moitié du XVIIIe siècle, des réflexions rageuses sur «le sexe qui devrait obéir» (Rousseau), ou sur «l’animal» à qui la nature «a percé au bas de [l’]abdomen un si vilain trou» (Voltaire), ou des rappels à l’ordre du type «n’oubliez pas que, faute de réflexion et de principes, rien ne pénètre jusqu’à une certaine profondeur de conviction dans l’entendement des femmes» (Diderot)[28], met rudement à mal les idées reçues sur les Lumières et les philosophes…

De cet effroi, peut-être, sont venus les propos donnant à la Querelle un terminus ad quem – terrain sur lequel ne s’étaient pas aventurés les premiers critiques. McLean a ainsi affirmé qu’elle n’avait déjà plus vraiment de raisons d’être à la fin de la Renaissance: «On peut conclure avec assurance que la traditionnelle “Querelle des femmes” ne caractérise que les trois premières décennies du XVIIe siècle, et que, sans l’Alphabet de Trousset [ouvrage de 1617 qui généra une intense polémique], elle y aurait à peine pris place[29]». La régence d’Anne d’Autriche l’aurait également maintenue un temps – quasi artificiellement. La Querelle déclina donc substantiellement, d’après ce chercheur, après 1650. Angenot, qui va plus loin dans le temps, insinue pourtant la même idée, en qualifiant d’«attardés» nombre de traités (pro ou contra) postérieurs à la Renaissance. Ces analyses minimalistes paraissent encore souvent admises. On retrouve par exemple dans l’entrée «Querelle des femmes» du site Encyclopedia.com (qui la définit comme un «literary debate about the nature and status of women»): «This debate began around 1500 and continued beyond the end of the Renaissance».

L’article déjà cité de Joan Kelly a expressément mis en cause cette thèse, puisque l’expression Querelle des femmes y était, dans son titre, associée à la fourchette 1400-1789. La première date s’expliquait par le rôle pionnier donné à Christine de Pizan dans l’élaboration d’une «early feminist theory», la seconde par la volonté, précisée en ouverture de l’article, d’attirer l’attention de la communauté scientifique sur le fait que le féminisme était loin de commencer avec la Révolution française, et que les féministes de cette époque, comme celles des époques postérieures, avaient bénéficié de la mobilisation, des idées et des savoirs de leurs prédécesseurs et prédécesseuses. La chercheuse ne cherchait donc pas à signifier que la Révolution avait mis un terme à la Querelle, mais au contraire qu’il y avait eu continuité entre l’avant et l’après. Cette analyse semble avoir convaincu – surtout ailleurs qu’en France, où la Querelle demeure presque inconnue des historiennes du féminisme, très majoritairement spécialistes de la période contemporaine[30]. En effet, elle a été intégrée dans l’histoire longue des femmes européennes par des chercheuses nord-américaines et allemandes: partiellement pour Karen Offen, qui a intitulé son ouvrage European Feminisms, 1700-1950 (2000); contradictoirement pour Margarete Zimmermann, qui, en 1999, renvoyait toujours aux conclusions de McLean à propos de son déclin «après 1630», mais qui la voyait se poursuivre «par d’autres moyens», et même dessiner «une ligne relativement droite et continue», notamment pour certains ouvrages, entre les années 1550 et les années 1930[31]; résolument pour Gisela Bock, qui commence sa Women in European History (2002, 2000 en allemand) par un chapitre intitulé «Querelle des femmes: a European Gender Dispute». Avant de reprendre le mot dispute dans les deux chapitres suivants («The French Revolution: The Dispute is Resumed»; «Challenging Bourdaries: A Third Gender Dispute»). D’autres chercheurs vont plus loin encore en signifiant que la Querelle court toujours, comme l’atteste le titre d’un ouvrage récent, Heißer Streit und kalte Ordnung. Epochen der Querelle des femmes zwischen Mittelalter und Gegenwart («Polémique ardente et ordre froid. Époques de la Querelle des femmes, du Moyen Âge au temps présent», dir. Friedrieke Hassauer, 2008).

Cette position («maximaliste» pour le coup) cherche à l’évidence à signifier que nous ne sommes pas au bout de nos peines dans la réalisation de l’égalité des sexes, et que les féministes ont toujours des contradicteurs. Le parti pris présente cependant l’inconvénient de noyer la Querelle dans l’ensemble des obstacles qui se dressent face à l’objectif de l’égalité des sexes, et des débats, parfois très légitimes, que pose sa mise en œuvre[32]. Il est manifeste, en effet, qu’il n’y a plus – en Occident du moins – de gens aptes à se faire entendre et prêts à défendre haut et fort que les femmes doivent demeurer dans la dépendance des hommes, ou à s’élever contre leur présence dans les «fonctions viriles» sous prétexte qu’elles sont par nature écervelées, bavardes et peu fiables. Et s’il y a encore de belles polémiques sur la place et le rôle des femmes dans la société, elles ne divisent pas partisans et adversaires de l’égalité des sexes; celle qui a eu lieu en France au début de la campagne pour la parité, par exemple, et qui a généré de rudes débats pro et contra, s’est essentiellement déroulée entre féministes[33]. Conserver, pour désigner ces différends, l’expression Querelle des femmes serait donc se priver de comprendre ce qu’elle fut.

  • Pourquoi (tant de haine)?

Enfin, une dernière série d’incertitudes ou de désaccords porte sur la raison d’être de cette polémique. Pourquoi, après des siècles de silence (ou d’inaudibilité), la veine misogyne ressurgit-elle avec force à partir de la fin du XIIIe siècle? Pourquoi cette montée en puissance, cette transformation en logorrhée haineuse, «vers la fin du Moyen Âge»? Pourquoi une telle durée? Et pourquoi s’est-elle arrêtée? Bien souvent, les critiques ne se prononcent pas sur cette question. Celles et ceux qui s’intéressent aux dernières périodes se contentent souvent de dire que les textes qui les occupent s’inscrivent «dans le cadre de la querelle des femmes», comme si elle était toujours déjà là, ou «dans le cadre de la “querelle des femmes”», comme si les guillemets suffisaient à signifier qu’on sait de quoi il retourne. Celles et ceux qui s’intéressent à ses premiers siècles évoquent la tradition antique, comme s’il suffisait qu’une tradition existe pour qu’on puise dedans, et sans s’interroger sur sa longue traversée du désert. Elles et ils insistent souvent sur l’importance des clercs dans la Querelle, ce qui n’est guère niable vu qu’ils sont les seuls à détenir l’art d’écrire, mais ne fournit guère d’explication – sauf à compter sur la connotation de ce terme avec celui dont il vient, clergé, et avec le mot clérical, dans le sens qu’il a pris au XIXe siècle: ce serait donc l’Église la coupable, déjà elle, toujours elle! Mais pourquoi au XIIIe siècle? Piaget a noté que, pour convaincre ses membres masculins de renoncer au commerce des femmes, la hiérarchie romaine avait dû produire beaucoup de textes misogynes, ce qui est indéniable aussi. Mais ces textes étaient en grande partie à usage interne, et elle était parvenue à l’un de ses principaux objectifs (réserver le mariage aux laïcs) avant l’émergence de la logorrhée en question. Il est assez manifeste, par ailleurs, que si les misogynes sont à peu près tous d’Église jusqu’au XVe siècle, ce n’est plus le cas dans les époques ultérieures; et que les philosophes n’était pas (très) religieux… La responsabilité de l’Église dans cette affaire est indéniablement lourde, ne serait-ce qu’en raison du modèle d’appareil strictement masculin qu’elle proposait au monde depuis l’Antiquité tardive, au stock de textes antiféministes et misogynes qu’elle avait produit pour parvenir à ce résultat, et aux rappels ininterrompus (c’est-à-dire en grande partie inefficaces) de ses interdictions concernant les pouvoirs des religieuses. Mais à elle seule, «l’Église» – fort puissante en Occident depuis la fondation des royaumes barbares – ne fournit pas d’explication simple au déclenchement de la Querelle, non plus qu’à son extinction.

Émile Telle a quant à lui proposé une série d’hypothèses, tant sur l’origine de cette veine que sur son succès. C’est le culte de la dame, tel qu’il commençait à s’exprimer dans la littérature courtoise, qui aurait entraîné le renouveau de littérature misogyne. «Cet idéal visait trop haut pour ne pas susciter de réaction: le contre courant du réalisme, issu de l’observation des faits de la vie journalière et inspiré de l’esprit bourgeois, vint à se manifester[34]». Que l’inconstance des femmes, leur stupidité, loquacité, frivolité, gloutonnerie, vanité, luxure, agressivité… relèvent de «l’observation des faits», voilà qui paraissait donc encore évident à certains dans les années 1930. Que cette observation soit propre à «l’esprit bourgeois» est une autre idée reçue, à laquelle il convient de donner plus de place, vue sa ténacité. Pour une part, elle semble venir de la propagande mise en place par les auteurs des livres misogynes eux-mêmes: les détracteurs des femmes y verraient clair dans le jeu de celles-ci, leurs admirateurs seraient des naïfs victimes de leurs charmes. Pour une autre part, elle vient de l’assimilation de ces clercs à la bourgeoisie. Or cette assimilation ne va pas de soi, et elle aurait certainement suscité à la fois l’ire des clercs (qui étaient imbus de leur supériorité et pour qui les bourgeois constituaient une belle cible de moquerie) et celle des bourgeois (qui subissaient les avanies des «écoliers», jusque dans les rixes qui les opposaient à eux). Du reste, pour les gens du Moyen Âge, le monde des clercs était parfaitement identifié, à travers des habits, des quartiers, des mœurs, des métiers particuliers. Et il était magnifié, comme en témoignent les nombreux ouvrages qui font du clerc un personnage – généralement très positif[35]. La clergie (le mot est utilisé dans cette acception depuis la fin du XIIe siècle) est alors une caste visible, redoutée (parce que savante, querelleuse et grossissante), issue d’à peu près toutes les classes sociales (sauf la haute noblesse), divisée par ses choix intellectuels ou politiques, mais unie par sa culture: les longues années passées à étudier et à vivre dans les quartiers «latins», les enseignements reçus, les emplois réservés, le célibat quasiment de rigueur jusqu’au milieu du XIVe siècle, et longtemps encore nécessaire pour «faire carrière» à l’Université ou dans l’Église[36].

Le succès de la littérature misogyne, lui, serait dû d’après Telle au fait que ces récits «plaisaient parce qu’ils mettaient en œuvre toutes ces facéties aisées souvent grossières et triviales qui ont toujours provoqué le rire à bon marché et le provoquent encore», notamment «les infortunes conjugales, celles du mari s’entend»[37]. Le gros bon sens qui paraît sous-tendre cette explication cache en fait plusieurs apories. La première tient à son extrême généralisation et à son a-historicité: toutes les littératures ne sont pas engorgées de récits misogynes, tout le monde ne les trouve pas «facétieux», tous les intellectuels n’en produisent pas, etc. L’existence même de la Querelle, c’est-à-dire de protestations, le prouve, et cette polémique est, dans ses caractéristiques, propre à l’Occident du second millénaire. La seconde aporie tient au déplacement de l’objet du rire, des défauts des femmes (rusées, trompeuses, sans scrupules, affamées de sexe…) aux déboires des maris (manipulés, cocus, épuisés…), comme si les uns et les autres étaient situés sur le même plan. Or ils ne le sont jamais. Si les maris sont moqués, c’est en tant que naïfs et en tant que traîtres: en tant qu’hommes ayant pactisé avec l’ennemi, par bêtise ou par faiblesse. C’est leur parti pris qui est vilipendé, c’est leur statut qui est en cause, pas leur nature d’hommes. En revanche, c’est la nature des femmes qui fait d’elles des créatures à fuir, ou à «jeter après utilisation», à ne pas épouser. La troisième aporie, enfin, tient aux relations entre moqueurs et moqués, et nous ramène à la confusion entre clercs et bourgeois. Que «l’infortune des maris» ait été un objet de plaisanterie infinie parmi les célibataires (surtout ceux qui s’apprêtaient à le demeurer) se comprend bien. Les bourgeois, eux, s’attachaient à faire du mariage la chose la plus sérieuse du monde, car c’est sur lui qu’ils comptaient pour bâtir leur assise sociale; et c’est avec leurs épouses, le plus souvent, qu’ils faisaient prospérer leurs affaires. L’esprit bourgeois, ici, est aux antipodes de l’esprit clérical.

Une fois de plus, ces thèses ont pour partie été contestées par Joan Kelly. Pour partie seulement, car le point aveugle constitué par la confusion entre clergie et bourgeoisie est également à l’œuvre dans son étude. Plus exactement, l’historienne englobe la première dans la seconde (la bourgeoisie étant la seule classe dont elle repère l’ascension face à la noblesse déclinante), et elle attribue à la seconde les activités tant professionnelles qu’intellectuelles de la première (notamment l’investissement dans l’État, la philosophie humaniste et la «pensée républicaine classique»). Par ailleurs, n’opérant pas de séparation nette entre «les traditions misogynes cléricales» et «le clergé», elle fait de ce dernier tantôt l’allié de la bourgeoisie dans la rédaction des œuvres misogynes, tantôt sa victime aux côtés des femmes[38] – alors que seuls les clercs séculiers savants sont ici à la manœuvre, rédigeant une littérature improprement nommée anticléricale, où les moines, les femmes et les hommes aisés de la classe moyenne sont abondamment moqués[39]. Tout se passe ainsi comme si l’accès de la classe intellectuelle aux carrières laïques et au mariage, à partir du milieu du XIVe siècle puis de plus en plus décidément au cours des siècles suivants, la rendait invisible aux yeux des commentateurs modernes, pour qui «la bourgeoisie» sert bien souvent d’explication fourre-tout[40].

Si Kelly peine à identifier les «militants» misogynes, donc, elle donne du déclenchement de la Querelle une interprétation diamétralement opposée à celle de Telle: les idées des supporters des femmes, dit-elle, «ont émergé en opposition dialectique à la misogynie[41]». Ce ne sont pas eux, pas elles, autrement dit, qui ont choisi le terrain de la controverse, bien que, tout en s’y situant pour répondre aux «assaillants», elles et ils l’aient déplacé: les misogynes «attaquaient les femmes. Les féministes n’attaquaient pas les hommes, mais les biais masculinistes de la culture lettrée», écrit-elle en glosant en termes modernes les propos de deux féministes anglaises du XVIIe siècle: «Nous ne menaçons pas les hommes, mais leurs esprits; pas leurs personnes, mais leurs plumes»[42]. Par ailleurs, Kelly replace la Querelle dans le contexte socio-politique global de la construction des États et des transferts de pouvoirs entre classes qui la caractérisent. Du coup, elle désigne clairement la question du pouvoir entre les sexes comme l’enjeu principal de la dispute: «les États européens se développant, les femmes furent résolument exclues de certaines fonctions[43]», notamment les anciens pouvoirs judiciaires, politiques et même militaires qui leur étaient reconnus précédemment, même si elles ne les exerçaient pas dans les mêmes proportions que les hommes. D’où, d’après Kelly, l’aspect conservateur, tourné vers le passé, des discours tenus par les féministes pour résister à la domestication en cours, portée quant à elle par des discours plus «modernes». Cette analyse, qui s’avère contradictoire avec la mise en évidence des avancées conceptuelles et politiques dues aux féministes, paraît le produit d’une réflexion inaboutie, induite par les stratégies de recours à l’histoire adoptée dans leur camp: dire que les choses ont été différentes (et, en l’occurrence, plus positives) dans le passé, afin de faire comprendre que la situation présente n’est pas fatale, c’est souvent, hélas, passer pour nostalgique des époques révolues… L’inachèvement de la réflexion se signale d’ailleurs par la généralisation abusive à l’œuvre sur cette question. Que certains «panégyristes du Sexe» sincères aient été de vrais réactionnaires, notamment parmi les religieux du XVIIe siècle, est une évidence. Que certains misogynes se soient déguisés en «amis des femmes» en est une autre[44]. Mais que tous les féministes aient été politiquement conservateurs, c’est ce qu’il est impossible de soutenir.

Plus récemment, Gisela Bock a repris pour l’essentiel le cadre d’analyse fourni par Kelly, mais elle ne s’aventure que très modérément sur le terrain de l’interprétation. Elle allègue néanmoins les modifications des traditions matrimoniales à partir du milieu du XIVe siècle, pour expliquer la perte de valeur des épouses, mais elle n’en donne pas de raison particulière; elle ne les relie pas, notamment, à l’accès au mariage de la clergie – bien qu’elle note l’insistance des humanistes à promouvoir le mariage précoce… pour les seules femmes. Elle insiste également sur l’importance de la Réforme dans les controverses sur le mariage, en raison des désaccords entre catholiques et protestants sur le célibat du clergé; mais ces débats sont propres au XVIe siècle, époque où la «querelle du mariage» avait en grande partie vécu[45]. Margarete Zimmermann et elle ont par ailleurs mis l’accent, avec raison, sur les dimensions européennes de la Querelle, à partir de la fin du XVe siècle, notamment en Italie, Espagne et Angleterre, voire jusque dans les territoires américains des trois empires d’Europe.

Ces différentes analyses témoignent de la difficulté qu’il y a eu (et qu’il y a toujours) à penser la Querelle – et de ce que les interprétations produites semblent elles-mêmes prendre leur place dans le phénomène étudié… Celles qui sont proposées dans cet article s’y insèrent donc à leur tour. Redevables des précédentes, de leurs apports, de leurs intuitions, de leurs impasses et de leurs oppositions mêmes, elles demandent à être soumises au même feu critique, afin que cette histoire finisse par être compréhensible – et que ce qu’il en reste dans la société contemporaine puisse être appréhendé.

La question du pouvoir

Ces analyses, on l’aura compris, tiennent la clergie pour déterminante dans le déclenchement de l’offensive misogyne et son maintien au long des siècles, quels que soient ses rapports statutaires avec l’Église, en raison de ses compétences intellectuelles et de ses lieux d’exercice: la haute administration, la fonction publique, la justice, le conseil aux puissants, le commentaire de la vie publique, l’enseignement supérieur, la production des œuvres de savoir et (à un moindre degré à partir du XVIe siècle) d’imagination…[46]. Reste à dire pourquoi, et pourquoi entre le XIIIe siècle et le début du XXe.

L’hypothèse formulée ici est que cette polémique naquit de l’inégal accès au savoir des uns et des autres, à partir du moment où, en Occident, le savoir devint un moyen d’échapper à la pure reproduction sociale, et notamment, pour ceux qui n’étaient pas des mieux servis par la naissance mais qui avaient une cervelle en bon état de marche, le moyen de parvenir à des fonctions ou à des métiers prestigieux. Autrement dit, à partir du moment où la naissance des États modernes entraîna la multiplication de ces métiers et fonctions, et où ces États, pour répondre à leurs besoins en fonctionnaires, créèrent les universités conjointement avec l’Église (qui seule formait des lettrés depuis l’effondrement de l’Empire romain); tous domaines où la France s’engagea la première en Europe, dès le début du XIIIe siècle[47]. Le savoir constituant dès lors une possible poule aux œufs d’or, et l’intelligence n’étant pas naturellement réservée à certains groupes, celui qui était le mieux placé sur la ligne de départ – le clergé chrétien masculin – s’ingénia à limiter la concurrence: d’un côté, par la mise en place de mesures concrètes, comme la création des diplômes, la restriction de leur délivrance aux seuls clercs, leur couplage avec l’exercice des grandes charges, le recours aux procès pour les contrevenant/es, la cooptation dans les assemblées prestigieuses afin d’empêcher les nominations dues au «fait du prince», etc.; d’un autre côté, par la production de discours disqualifiant les groupes où ils avaient des rivaux, afin de justifier leur exclusion arbitraire des bienfaits attendus de l’instruction dispensée: les juifs, les femmes et les laïcs. Si l’on excepte ce dernier groupe, que beaucoup de clercs rêvaient d’intégrer pour pouvoir fonder une lignée, et qui vit donc rapidement les portes s’ouvrir devant lui, il n’est qu’à voir l’actuelle composition des cohortes universitaires pour comprendre lequel des deux groupes restants était (potentiellement) le plus menaçant[48]. À quoi s’ajoutait, pour les hommes prêts à s’investir dans les carrières laïques lorsqu’elles se multiplièrent la volonté de ne pas se retrouver, dans leur foyer, face à des égales.

Ce double désir, cependant – écarter la moitié du genre humain de la manne des «emplois» et dominer les femmes dans la sphère privée – ne s’avoua jamais comme tel. Jamais les détenteurs de (ou les prétendants à) ladite manne ne dirent ouvertement qu’ils luttaient pour sa captation à leur seul profit, encore que certaines formulations, en temps de crise, soient bien proches de cet aveu, comme cette phrase rageuse de Montaigne, lorsqu’il pense aux femmes de son milieu «attachées à la rhétorique [l’art oratoire], à la judiciaire [le droit], à la logique [la philosophie], et semblables drogueries si vaines et inutiles à leur besoin[49]». Ou comme cette question du député Amar à la Convention, entièrement composée d’hommes, en octobre 1793: «Voulez-vous que dans la République Française, on les voit venir au barreau, à la tribune, aux assemblées politiques comme les hommes […]?[50]» En dehors des périodes les plus tendues, les véritables enjeux de la «vitupération des femmes» (comme on disait au temps de Christine de Pizan) ne s’affichent pas, et la question de la rivalité du pouvoir entre les sexes n’est que sous-jacente, voire difficilement perceptible dans les propos des partisans de l’inégalité des sexes. Ce qui réémerge avec force à la fin du Moyen Âge, et se répète au fil des siècles, se remusclant ou se diluant selon les contextes, changeant ses références, ses tons, mais perdure jusqu’en plein XXe siècle, c’est d’abord – décliné sérieusement ou non – un discours sur l’incapacité des femmes. C’est la vieille thèse, autrement dit, de l’imbecillitas sexus, largement remise en circulation à partir du XIIIe siècle avec la réintroduction des œuvres du «Dieu des écoles», Aristote, et apte à renforcer les vieilles leçons de certains passages de la Bible et de la plupart des Pères de l’Église. C’est cette thèse que l’on voit déclinée dans toutes les sphères de l’activité humaine – mais tout particulièrement dans les domaines chers au cœur de la classe intellectuelle, que ce soit ceux qu’elle maîtrise, ceux auxquels elle s’identifie, ou ceux auxquels elle voudrait être associée: la science, la raison, la maîtrise de soi, la force, la compétence, la confiance, l’invention, la direction des hommes et des affaires… De tout cela les femmes sont incapables. Celles qui croient le contraire mettent en péril la société. Celles qui l’ont cru ont provoqué des catastrophes. Ceux qui les aident sont des inconscients, des faibles, des dominés. Et si quelques-unes ont paru capables, elles étaient des «erreurs de la nature», des femmes «viriles» – il ne faut surtout pas en faire une généralité.

Il se conçoit alors que, si cette polémique a pris fin, c’est en raison de l’ouverture aux femmes des lieux de formation supérieure, qui entraîna – en quelques décennies, et non sans luttes – celle de tous les emplois et fonctions d’importance. Si l’inégalité entre les sexes perdure, en effet, et s’il faut toujours déployer beaucoup d’efforts pour la faire reculer (ou l’empêcher de se déplacer, tout simplement), les discours justifiant la nécessaire subordination des femmes aux hommes ont aujourd’hui, pour l’essentiel, disparu. Ils ont cédé la place à d’autres discours, généralement lénifiants (sur le progrès à qui il faut laisser le temps d’agir, sur le malheureux «consentement» des femmes à leur propre assujettissement, sur l’ampleur de la différence des sexes, sur leur merveilleuse complémentarité, etc.), parfois plus raidement principiels (sur la liberté individuelle, qui veut qu’on peut choisir d’être subordonné/e – voire opprimé/e, battu/e, prostitué/e, etc.). Discours dont les émetteurs et les émettrices paraissent tenir pour acquis l’objectif d’égalité des sexes. Quant à celles et ceux qui sont véritablement favorables à cette égalité, après avoir dû si longtemps se focaliser sur la contestation des discours misogynes et la dénonciation de la prétention ou des abus de pouvoir des hommes, ils ont logiquement réorienté leurs propos vers la promotion des meilleurs moyens d’atteindre l’égalité, et vers la dénonciation des lenteurs, des mauvaises volontés, des fausses bonnes idées, etc.

Notre méconnaissance actuelle de ce très long conflit s’explique par ce changement de contexte: par la disparition de la «querelle» proprement dite, par suite de la disparition de ce qui en constituait l’élément le plus scandaleux, à savoir les propos émis dans les élites lettrées occidentales pour légitimer et maintenir la domination masculine[51]. Elle s’explique aussi par le silence fait, depuis lors, sur cette immense dispute, là même où elle devrait être évoquée: à l’école, à l’université, dans les histoires de France, de la littérature, de l’art, de la philosophie… Or elle n’y a pas droit de cité, non plus d’ailleurs que les conflits concrets entre les sexes, et non plus que les femmes elles-mêmes comme agentes de l’histoire, écrivaines, philosophes, artistes… tout cela sauf exceptions, bien sûr. Seules les histoires du féminisme évoquent aujourd’hui cette querelle, ces conflits, leurs protagonistes, c’est-à-dire des ouvrages où nul/le n’aurait l’idée de mettre le nez s’il ne se posait déjà de sérieuses questions sur ce qu’on lui a enseigné. L’inégalité des sexes demeurant, et continuant à faire des privilégiés, mieux vaut laisser croire qu’elle est vieille comme le monde, que la seule responsable est la «nature humaine», mais que le progrès est en marche, que l’Occident a fait (et fait toujours) de son mieux sur ce chapitre. S’il y a poursuite de la Querelle, aujourd’hui (quoi qu’en actes seulement, puisque les adversaires de l’égalité se contentent d’agir en silence, à partir de leurs lieux de pouvoir), c’est bien dans ce domaine de la transmission du savoir: pour faire croire à l’éternelle domination masculine, voire à une éternelle «guerre des sexes», il est nécessaire de faire disparaître des lieux de mémoire (livres d’histoire, musées, encyclopédies…) tout ce qui pourrait contredire ce récit. C’est pourquoi il est toujours nécessaire, pour les féministes, d’écrire «l’histoire des femmes», de faire des «dictionnaires de femmes»[52], de réaliser des anthologies de textes de femmes. Si la plupart des genres d’ouvrages qui ont été vecteurs de la Querelle ont disparu pendant l’entre-deux-guerres, ceux-là ont survécu à cette époque – sans bruit ou presque. Ils sont les symptômes de la poursuite du conflit entre gens favorables et gens opposés à l’égalité des sexes, si ce n’est de leur controverse.

Reprendre ce chantier

J’ai dit plus haut que cette interprétation était redevable de celles des chercheurs et chercheuses qui m’ont précédée – du moins celles et ceux que j’ai pu lire[53]. Elle l’est également des intenses débats qui ont précédé et accompagné le programme de recherche dont ce livre est l’une des retombées. Un programme pluriannuel mis en place par la SIEFAR en 2007, et décliné sur plusieurs plans à partir de l’année suivante: des colloques et tables rondes, occasions de découvrir de nouveaux matériaux et de débattre au sein de la communauté mobilisée; l’élaboration d’une «liste des textes de la Querelle», progressivement mise à la disposition du public sur le site de l’association; la confection d’une bibliographie critique, pour faire connaître les outils déjà réalisés; la mise en ligne de textes sources.

Pour avancer dans ce programme, nous avons formé un Comité scientifique composé d’expertes de diverses périodes et de diverses disciplines[54]. Conscientes que nous mettions sans doute des sens différents dans les mêmes expressions (notamment celle de querelle des femmes), nous avons décidé de progresser sans faire de cette question un préalable, et en reportant à la fin du programme, ou du moins au cours de son déroulement, les probables corrections, précisions, redéfinitions des notions avec lesquelles nous partions à l’aventure. Nous avons établi une fourchette chronologique, «de la Renaissance aux lendemains de la Révolution», la première borne signalant un démarrage de l’enquête à l’époque de Christine de Pizan – dont nous sommes conscientes aujourd’hui qu’elle n’est pas celle du début de la Querelle – et la seconde borne reflétant simplement les limites de l’aire de compétence de la SIEFAR. Nous avons découpé cette fourchette en trois périodes, en établissant entre elles des césures forcément rigides (1600 et 1750) mais qui permettaient de délimiter la Renaissance, l’âge dit classique et enfin la période allant des Lumières à la fin de la crise révolutionnaire (en considérant qu’elle s’achève avec le premier Empire). Plutôt que de procéder chronologiquement, toutefois, nous avons décidé de «revisiter» en priorité les décennies les moins étudiées en France sous l’angle de la Querelle des femmes, puis de remonter le temps jusqu’à la période la mieux (ou la moins mal) connue de ce point de vue, avant de terminer (provisoirement?) en nous intéressant à la circulation des discours sur l’égalité et l’inégalité des sexes entre la France et le reste de l’Europe, tout au long de ces quatre siècles.

Le présent volume est issu du premier colloque, tenu à Paris en octobre 2008, et qui s’est donc attaché à la dernière période considérée. Peu de chercheuses (et aucun chercheur) ayant répondu à l’appel à contributions international lancé près d’un an plus tôt, il ne réunit que huit contributions. Cette faible mobilisation reflète sans doute, objectivement, le peu de recherches féministes portant sur la période pré-1830 et, d’autre part, subjectivement, l’habitude de la communauté spécialiste de la période à concevoir son domaine d’étude comme davantage lié à l’histoire à venir (que les Lumières prépareraient difficilement mais glorieusement) qu’à l’histoire initiée «à la fin du Moyen Âge» (que les Lumières prolongeraient tristement – quoiqu’en la réorientant). Cette relative «pénurie» est heureusement compensée par la richesse du panorama, des informations et des pistes de réflexion que présentent ces contributions, qui s’attachent à restituer l’état des discussions et des idées dans des domaines aussi variés que l’histoire des idées (Huguette Krief, sur le génie féminin), l’histoire de l’art (Sandrine Lely, sur la place des femmes dans la peinture, comme créatrices et comme membres d’une profession), la littérature (Martine Reid, sur les opinions de trois autrices majeures de la période), la médecine (Sabine Arnaud, à propos de l’interprétation des «vapeurs»), la politique (Éliane Viennot, sur la légitimité des femmes à gouverner), la sociologie (Anne Morvan, sur l’émergence de cette science à partir des théories de la famille), l’éducation (Caroline Fayolle, à propos des débats sur son rôle émancipateur ou normalisateur) ou, plus généralement, à penser le sens de la controverse des sexes dans la longue durée (Geneviève Fraisse). Par ailleurs, nous avons tenu à éclairer ces contributions et/ou à ouvrir d’autres pistes de réflexion grâce à la reproduction de documents textuels ou iconographiques de la même période, qui donnent à entendre la voix de celles et ceux qui tentaient d’influencer l’opinion, ou à voir les images sur lesquelles ils comptaient pour ce faire.

Si l’ensemble ne permet pas de «faire le tour de la question» – ce qui n’était d’ailleurs pas l’objectif de l’entreprise –, il montre, au-delà de toute attente, l’intérêt et la pertinence de considérer la Querelle dans la longue durée. Il atteste en effet le remodelage que les évolutions culturelles font alors subir au débat sur la place des femmes dans la société, mais aussi la rémanence de ses thèmes et de ses veines les plus anciennes, ainsi que l’émergence de nouvelles problématiques qui s’épanouiront sous la Restauration et au-delà. Ils montrent également le rôle des enjeux sociaux et des événements politiques (et au premier chef, la Révolution française) dans les reformulations des discours tenus sur l’égalité ou l’inégalité des sexes. Loin des idées simples sur la diffusion des Lumières jusqu’au cœur même de la Révolution, ou, au contraire, sur la glaciation produite par la radicalisation drastique des discours sur la différence des sexes induite par les philosophes et leurs épigones, ou encore sur les changements de ton qui auraient imprimé ses marques à cette période en la différenciant radicalement des précédentes, études et documents rassemblés ici montrent l’effervescence idéologique sans pareille qui a marqué ces quelques décennies, au cours desquelles toutes sortes de discours se sont croisés, affrontés, superposés, des plus éculés (par la forme et/ou le contenu) aux plus novateurs, en passant par les plus embarrassés.

Éliane Viennot, février 2011.



[2]. J’appelle féministes les personnes favorables à l’égalité des sexes dans les sociétés qui donnent l’avantage aux hommes, et antiféministes celles qui y sont défavorables, bien que ces mots n’aient surgi qu’au XIXe siècle – argument le plus fréquemment avancé pour nier l’existence de ces deux groupes auparavant (argument que nul n’aurait l’idée d’alléguer pour soutenir que l’antisémitisme a attendu, pour exister, que le mot apparaisse, lui aussi au XIXe siècle). Je fais mienne cette remarque de Joan Kelly: «Il est juste d’appeler cette longue lignée d’écrivain/es favorables aux femmes, qui court depuis Christine de Pizan jusqu’à Mary Wollstonecraft, par le même nom que celui dont nous usons pour leurs héritiers des XIXe et XXe siècles.» (J. Kelly, «Early feminist theory and the “Querelle des Femmes”, 1400-1789», Signs 8-1, 1982, p.5, ma traduction). J’analyse le scrupule à utiliser ces termes dans la communauté historienne féministe française (à l’instar de bien d’autres mots féminins parmi la communauté plus large des féministes françaises) comme le produit des intimidations exercées par les antiféministes d’aujourd’hui (membres de l’Académie française, de l’élite universitaire et médiatique, des administrations centrales de l’État…), intimidations qui, enveloppées comme il est d’usage dans des propos d’apparence savante, sont destinées à empêcher de penser l’histoire des relations sexes – ou à inciter à les penser de travers, selon le schéma de la marche du progrès (cf. l’usage du mot préféministes par certaines critiques spécialistes de l’Ancien Régime). Le mot misogyne, au sens de personne qui hait les femmes, est repéré dans la langue française depuis la Renaissance. Sur la «guerre des mots», déclarée en France au XVIIe siècle, voir la rubrique en ligne de la Société internationale pour l'étude des femmes de l'Ancien Régime.

[3]. Un seul ouvrage répertorié par le catalogue de la BnF porte ce titre, et il signifie clairement bagarre (Le Grand procez de la querelle des femmes du faux-bourg Saint-Germain avec les filles du faubourg de Montmarte sur l'arrivée du régiment des gardes, avec l'arrest des commères du faux-bourg Saint-Marceau intervenu en ladicte cause, 1623). L’expression querelle des dames date au moins du XIVe siècle, mais elle signifie alors la cause des dames, et elle est employée dans un sens judiciaire: il s’agit de soutenir leur cause, soit littéralement (plaintes de femmes spoliées dans leurs biens et leur honneur, rapportées par Boucicaut, 1409), soit plus métaphoriquement (mention par Martin Le Franc de l’intérêt du duc de Bourgogne Philippe le Bon pour «la cause des dames», dans le prologue du Champion des dames, 1441). Voir Margarete Zimmermann, «The Querelle des Femmes as a Cultural Studies Paradigm» [1999, en italien], in A. Jacobson Schutte, T. Kuehn & S. Seidel Menchi (dir.), Time, Space, and Women’s Lives in Early Modern Europe, Kirksville (Missouri), Truman State UP, 2001, p.21.

[4]. La thèse de Piaget, Martin Le Franc, prévôt de Lausanne, parut en 1888. Les connaissances rassemblées par l’historien furent en partie mises à la disposition du public américain quelques décennies plus tard par Blanche Dow (The Varying Attitude toward Women in French Literature of Fifteenth Century: The Opening Years. Columbia, Publications of the Institute of French Studies, 1936).

[5]. Abel Lefranc, «Le Tiers Livre de Pantagruel et la querelle des femmes», Revue des études rabelaisiennes, 1904, 1-10 et 78-109 (rééd. Honoré Champion, 41 pages, même année); Émile Telle, L'Œuvre de Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre, et la querelle des femmes, Toulouse, impr. de Lion & fils, 1937. La «querelle des Amyes» doit son nom aux trois œuvres parues en 1541 et 1542: L’Amye de court (La Borderie), La Contr’Amye de court (Fontaine), La Parfaicte Amye (Héroët). Signalons également l’étude de N. Yvanoff sur l’une des œuvres phares de l’Ancien Régime, «Le Roland furieux et la Querelle des femmes», Revue du Seizième Siècle 19 (1933), p.262-272.

[6]. E.M.D. Robineau, Christine de Pisan, sa vie, ses œuvres, Saint-Omer, impr. Fleury-Lemaire, 1882; Mathilde Kastenberg, Die Stellung der Frau in den Dichtungen der Christine de Pisan, Inaugural-Dissertation..., Darmstadt, Buchdruckerei G. Otto, 1909; Rose Rigaud, Les Idées féministes de Christine de Pisan..., Neuchâtel, impr. de Attinger frères, 1911; Mathilde Laigle, Le Livre des trois vertus de Christine de Pisan et son milieu historique et littéraire, Paris, Champion, 1912; Joseph Marie Martin Van Den Gheyn, Christine de Pisan, Bruxelles, Ed. Vroment & Co, 1913; Ernest Nys, Christine de Pisan et ses principales œuvres, La Haye, M. Nijhoff, 1914; Marie-Josèphe Pinet, Christine de Pisan, Paris, H. Champion, 1927; Lula McDowel Richardson, The Forerunners of feminism in French literature of the Renaissance from Christine de Pisa to Marie de Gournay, Baltimore, Maryland, Johns Hopkins Press, 1929;

[7]. L’arrêt des thèses et études sur le féminisme est parallèle. Si l’on en croit le catalogue de la BnF, 12 ouvrages en français portant le mot féminisme dans leur titre ont été publiées entre 1934 et 1973, soit une moyenne de 3 par décennie, à comparer aux moyennes de 8,75 dans la période 1894-1933 (35), et de 11 dans la période 1974-2010 (41).

[8]. Au-delà des rééditions du gros article d’Abel Lefranc (déjà reparu en 1914), en 1953 et 1969.

[9]. Michael-A. Screech, «Rabelais, de Billon and Erasmus», BHR/Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, XIII, 1951; Ruth Kelso, Doctrine for the Lady of the Renaissance. Urbana, University of Illinois Press, 1956, notamment chap.2.

[10]. Margarete Zimmermann parle d’un «third boom» dans les études sur la Querelle, à partir de 1990 («The Querelle des Femmes as a Cultural Studies Paradigm», art. cité, p.25).

[11]. Le groupe lillois (Jean-Pierre Guillerm, Luce Guillerm, Laurence Hordoire & Marie-France Piéjus) a donné La Femme dans la littérature… et un Miroir des femmes (vol. 1, Moralistes et polémistes au XVIe siècle, Presses Universitaires de Lille, 1983; vol. 2, Roman, théâtre, poésie, ibid., 1984), Arlette Farge un Miroir des femmes (1982).

[12]. Il faut croire que c’était encore trop. Malgré la qualité de sa thèse, publiée deux ans après sa soutenance et saluée par un prix de l’Académie française, Linda Timmermans ne fut pas recrutée dans l’enseignement supérieur français. Sur cette chercheuse d’origine belge, voir la notice nécrologique de son ancien patron de thèse, Jean Lafond, in Colette Nativel (dir.) Femmes savantes, savoirs des femmes, du crépuscule de la Renaissance à l’aube des Lumières, Genève, Droz, 1999, p.9.

[13]. Claire Bottineau (2006). Les deux autres sont d’une Canadienne, Isabelle Ducharme (2004) et de l’Allemande Margarete Zimmermann (1999).

[14]. Catherine Claude, La Querelle des femmes. La place des femmes des Francs à la Renaissance, Pantin, Le temps des cerises, 2000.

[15]. Telle, L’œuvre de Marguerite de Navarre…, op.cit., p.41 et 43.

[16]Ibid., p.40. Le mot écolier n’est pas faux en soi, puisqu’on appelait ainsi les «gens des écoles», c’est-à-dire les universitaires; il induit néanmoins en erreur le lecteur non spécialiste, et même le lecteur lui substituant d’emblée le sens d’étudiant, en raison des connotations attachées à ce mot aujourd’hui. Les «écoliers» du Moyen Âge et de la Renaissance avaient fréquemment dépassé la trentaine lorsqu’ils terminaient leurs études.

[17]. Cet approfondissement est noté par tous les spécialistes de la «condition féminine». Telle lui-même mentionne, quelques pages avant son injonction à ne pas penser les rapports entre la littérature et la société: «Vers la fin du Moyen Âge, la condition de la femme empire.» (ibid., p.30). Pour une synthèse de la dégradation du statut et de la valeur des femmes à cette époque, voir Éliane Viennot, La France, les femmes et le pouvoir. L’invention de la loi salique (Ve-XVIe siècle), particulièrement chap.11).

[18]. Joan Kelly, «Early feminist theory and the “Querelle des Femmes”, 1400-1789», Signs 8-1, 1982, p.4-28, p.13, n. 17.

[19]. Angenot, Les Champions des femmesop.cit., p.151.

[20]. Il n’est pas rare, par exemple, qu’on lise encore le traité majeur de Cornelius Agrippa, Bible des féministes des XVIe et XVIIe siècle (De nobilitate et praecellentia foeminei sexus, 1509), dans l’édition caviardée de 1726.

[21]. Telle, L’œuvre de Marguerite de Navarre…, op.cit., 14.

[22]. Voir note 1.

[23]. Christine de Pizan, La Cité des dames, trad. Éric Hicks & Thérèse Moreau, Paris, Stock, 1996, I, 27.

[24]. Les travaux sur ces disputes se sont en nombre croissant depuis les années 1990. Voir notamment ceux de Michel Lauwers. Je remercie Marie-Élisabeth Henneau de m’avoir indiqué ce fait.

[25]. La liste (non exhaustive) de ces Recueils, Dictionnaires, Répertoires, Notices, Histoires, etc. en ligne sur le site de la SIEFAR en comprend une centaine dans cette seule fourchette 1360-1900, compte non tenu des rééditions.

[26]. Helen Solterer, The Master and Minerva. Disputing Women in French Medieval Culture, Berkeley/Los Angeles/London, University of California Press, 1995.

[27]. Il s’agit de la Bonté des femmes (voir ce titre, dans le Dictionnaire des lettres françaises, où la notice date de l’édition de 1964]. L’invitation à douter du caractère misogyne de ces écrits, comme le refus de se prononcer, constituent une prise de position dans le débat sur leur innocuité. Imaginerait-on, à propos des années 1940, une phrase comme: «Toute une littérature antisémite – ou d’apparence antisémite – pullula donc à cette époque»?

[28]. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité parmi les hommes, Amsterdam, Michel Rey, 1755, p.79; Voltaire, Dictionnaire philosophique, article «Ignorances»; Diderot, Sur les femmes, in Qu’est-ce qu’une femme? Un débat préfacé par Élisabeth Badinter, Paris, Pol, 1989, p.179 [Correspondance littéraire, juillet 1772].

[29]. Ian McLean, Women Triumphant. Feminism in French literature, 1610-1652, Oxford, Clarendon Press, 1977, p.35, ma traduction).

[30]. Quelques exemples: les Actes du colloque Les Femmes et la Révolution française (dir. Marie-France Brive, Toulouse, 3 vol., Presses Universitaires du Mirail, 1989-1991) ne consacrent que quelques articles à ce qui a précédé le grand événement. L’Histoire des femmes en Occident (dir. Georges Duby & Michelle Perrot, 5 vol., Paris, Plon, 1991) est introduite par ces propos: «la voix des femmes s’enfle au cours des temps, singulièrement dans les deux derniers siècles, en raison notamment de l’impulsion féministe» (vol. 1, p.12); pas un chapitre n’y est consacré à la Querelle et le volume 4 («le XIXe siècle») s’ouvre sur le seul thème de «la rupture». La longue synthèse sur «les femmes et la Révolution française», signée Jacques Guilhaumou et Martine Lapied, plus récente (http://revolution-francaise.net/2006/08/26/67-les-femmes-et-la-revolution-francaise-recherches-en-cours), n’y fait pas davantage allusion; les femmes de l’Ancien Régime n’y sont mentionnées qu’au titre de «salonnières». L’Histoire du féminisme de Michèle Riot-Sarcey (Paris, La Découverte, 2002) commence en 1789…

[31]. Zimmermann, «The Querelle des Femmes as a Cultural Studies Paradigm», art. cité, p.19 et 23.

[32]. Ses partisan/es le sentent, du reste, puisqu’elles et ils insistent de plus en plus pour mettre le mot au pluriel, à l’instar des animatrices de la revue allemande d’études féministes née en 1996, Querelles. Jahrbuch für Frauen und Geschlechterforschung. Revue de la Freie Universität de Berlin, Stuttgart/Weimar, J. B. Metzler, http://www.querelles-net.de/pub/jahrbuch.html

[33]. Voir par exemple les deux numéros de Nouvelles questions féministes, La parité, pour (1994-4) et La parité, contre (1995-2).

[34]. Telle, L’œuvre de Marguerite de Navarre…, op.cit., p.13, 11. De la même manière, la «querelle des Amyes» des années 1540 semble, d’après Telle, avoir été déclenchée par le succès tonitruant des féministes, puisque dans «la première moitié du XVIe siècle» (titre du deuxième chapitre), «les champions du sexe étaient maintenant les seuls à être entendus» (ibid. p.45).

[35]. Robert Bossuat et Michel Zink notent par exemple que la plupart des poèmes classés dans le genre des «arts d’aimer» (dont les premiers datent de la fin du XIIe siècle) «posent la question traditionnelle de savoir lequel, du clerc ou du chevalier, est le meilleur amant – question soumise au dieu d’Amour qui tranche généralement en faveur du clerc.» (Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen Âge, Paris, Fayard «La Pochotèque», 1992, «arts d’aimer»). Voir également le débat qui suit la communication de Jean-Charles Payen dans 1274. Année charnière. Mutations et continuités, Paris, Éd. du CNRS, 1977, p.278).

[36]. Pour un essai de synthèse sur la clergie, voir le chapitre 8 du premier volume de mon étude sur La France, les femmes et le pouvoir (op.cit).

[37]. Telle, L’œuvre de Marguerite de Navarre…, op.cit., p.11.

[38]. Kelly, «Early feminist théory…», art. cité, p.9 et 10.

[39]. Voir Jean-Charles Payen, «La satire anticléricale dans les œuvres françaises de 1250 à 1300», in 1274. Année charnière…, op.cit., p.261-280, et le débat qui suit.

[40]. Je fais l’hypothèse que ce leurre a été mis en place par les clercs des «nouveaux régimes», à partir des domaines qu’ils contrôlaient (l’écriture de l’histoire, la production des connaissances et des outils d’analyse, l’enseignement et son organisation, la diffusion des idées…), afin de masquer leurs responsabilités historiques et politiques (dans l’organisation et le maintien de la domination masculine notamment, mais pas seulement), en les mettant au compte de l’autre classe en ascension sous l’Ancien Régime.

[41]. Kelly, «Early feminist théory…», art. cité, p.7.

[42]Ibid., p.19; les féministes en question sont Mary Tattelwell et Joane Hit-Him-Home – pseudonymes à l’évidence –, autrices de The Women’s Sharpe Revenge (Londres, 1640).

[43]Ibid., p.21.

[44]. J’emprunte cette expression à Boudier de Villemert, auteur d’un L’Ami des femmes paru pour la première fois (anonymement) en 1758, massivement réédité dans les décennies suivantes et augmenté, à partir de 1779, d’une Notice alphabétique des femmes célèbres en France. Celle-ci est vide des messages que cherchaient à distiller les féministes, quand ce n’est pas des informations factuelles les plus sommaires (voir Éliane Viennot, La France, les femmes et le pouvoir. Vol. 2. Les résistances de la société (XVIIe-XVIIIe siècle), Paris, Perrin, 2008, p.291-292). Cette Notice est en ligne sur le site de la SIEFAR).

[45]. Gisela Bock, Women in European History, Oxford/Malden, Mass., Blackwell, 2002 [2000]; p.8 et 16.

[46]. Je dois à la vérité de dire que j’ai rencontré la clergie par hasard, à l’occasion de la longue enquête que j’ai menée dans l’histoire des rapports de pouvoir entre les sexes en France. Elle m’était auparavant aussi invisible, en tant que groupe social ayant ses intérêts propres, qu’à mes prédécesseurs et prédécesseuses.

[47]. L’Université de Paris fut la seconde créée, après Bologne. D’une toute autre nature (installée dans la capitale, liée à la monarchie, comportant une faculté de théologie, privée de faculté de droit civil…), elle acquit en quelques décennies une dimension européenne (formant les étudiants de très nombreux pays), et un leadership qu’elle conserva durant au moins deux siècles.

[48]. Les juifs purent officiellement suivre des parcours universitaires à partir de leur émancipation, prononcée sous la Révolution, en septembre 1791. Ils étaient auparavant soumis au décret d’expulsion des Juifs de France, qui remontait au XIVe siècle. Sur les discours antisémites produits par les clercs chrétiens à partir de la fin du XIIe siècle, et les luttes pour empêcher les juifs de passer les diplômes, voir Gilbert Dahan, Les Intellectuels chrétiens et les juifs au moyen âge. Paris, Cerf, 1990.

[49]. Montaigne, Essais, éd. Pierre Villey. Paris, PUF, 1999, III-3, p.820-823.

[50]. Discours reproduit dans ce volume.

[51]. Les historiennes du féminisme situent également la disparition des propos clairement opposés à l’égalité des sexes durant la période de l’entre-deux-guerres. Voir Christine Bard (dir.), Un Siècle d’antiféminisme, Paris, Fayard, 1999.

[52]. Aurore Evain a noté que «le Dictionnaire encyclopédique du théâtre édité par Michel Corvin en 1991 ne contenait aucune notice consacrée à une dramaturge de l’Ancien Régime, et que les autrices des siècles suivants atteignaient vaillamment les 3% de l’ensemble des auteurs répertoriés… soit la même proportion que le dictionnaire dramatique de Charles de Mouhy en 1780!» (Théâtre de femmes de l’Ancien Régime, vol. 1, XVIe siècle, sous la dir. d’Aurore Evain, Henriette Goldwyn & Perry Gethner, Saint-Étienne, Publications de l’Unversité de Saint-Étienne, 2007, Introduction, p.13).

[53]. L’accès aux recherches publiées en langue allemande étant particulièrement difficile pour le public francophone, la SIEFAR envisage d’en commanditer prochainement une synthèse, qui pourrait prendre place dans le quatrième et dernier colloque prévu (2011).

[54]. Il était à l’origine composé de Geneviève Fraisse (philosophie XVIIIe-XIXe s., CNRS), Dominique Godineau (histoire moderne, Université de Rennes), Huguette Krief (littérature XVIIIe s., Université de Provence), Catherine Pascal (littérature XVIIe s. Université de Montpellier), Nicole Pellegrin (histoire moderne, IHMC/CNRS-ENS), Martine Reid (littérature XVIIIe-XIXe s., Université de Lille 3), Martine Sonnet (histoire moderne, CNRS-IHMC), Hélène Swift (littérature française, XIVe-XVe s., Oxford, St Hilda College), Éliane Viennot (littérature et histoire, XVe-XVIe s., Université de Saint-Etienne & IUF). G. Fraisse et D. Godineau l’ont quitté en 2008. Sont venues s’y adjoindre Armel Dubois-Nayt (Civilisation anglaise, Université de Versailles-Saint-Quentin), Nicole Dufournaud (histoire moderne, Centre de recherche de la Renaissance à Tours), Danielle Haase-Dubosc (littérature XVIIe s., Université de Columbia), Marie-Élisabeth Henneau (histoire moderne et histoire des christianismes, Université de Liège), Edwige Keller-Rahbé (littérature XVIIe s., Université Lumière Lyon 2), Rotraud von Kulessa (littérature française, Albert-Ludwigs-Universität, Freiburg).


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