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LANGAGE NON SEXISTE !
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des mots controversés
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liste des termes traités ici
Voir aussi la rubrique |
Ambassadrice |
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Ambassadrice
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Néologisme ? Aucunement. |
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Au sens figuré («elle est l'ambassadrice de notre cause»), le mot est très ancien. Au sens propre, il était employé au XVIIe siècle:
1694 : Dictionnaire de l'Académie (les académiciens devraient lire plus souvent la prose de leurs prédécesseurs!)
1697 : Bayle, Dictionnaire historique et critique, édition 1820, vol. 7, p. 311 et 314
1760 : Voir la couverture ci-jointe.
1944 : les femmes peuvent officiellement (re)devenir de vraies ambassadrices. 1972 : nomination de la première «femme ambassadeur» |
voir aussi
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• l'entrée «Ambassadrice» dans le Dictionnaire des femmes des Lumières, paru sous la dir. d'Huguette Krief et Valérie André, Paris, Honoré Champion, 2015. |
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Autrice
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Pourquoi choisir «autrice» plutôt qu'«auteure»? |
Raisons linguistiques
** affiche vue rue de Rennes à Paris, le 4 sept. 2019 (photographie Olivier Pradel) |
- parce ce mot est le féminin naturel d'auteur: il vient du latin auctrix, qui a donné le doublet actrice/autrice, comme le mot auctor a donné acteur/auteur; - parce qu'il s'insère naturellement dans une série de substantifs très fournie: actrice, amatrice, auditrice, compositrice, conductrice, éditrice, lectrice, traductrice… - parce qu'il a été utilisé sans problème jusqu'au XVIIe siècle, aussi bien dans son acception courante («celle qui fait»: une bonne action, un crime…) que dans son acception spécialisée («celle qui a écrit»: un livre, une lettre…);
- parce qu'il a continué d'être employé ensuite, malgré les condamnations des académiciens:
- parce qu'il est toujours utilisé en italien, où il ne semble pas avoir été combattu. |
Raisons politiques
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- parce qu'il s'agit du mot le plus attaqué par les idéologues masculinistes. C'est au XVIIe siècle que cette croisade a commencé, soit à l'époque où des femmes commençaient à parvenir à la notoriété littéraire (Scudéry, Villedieu, La Suze, Lafayette, Deshoulières…) bien qu'on les empêche toutes de recevoir une éducation secondaire et supérieure. D'autres termes féminins connotant des activités intellectuelles majeures ont de la même manière été condamnés:
- parce qu'il symbolisait au premier chef la capacité des femmes à créer une oeuvre de leur cerveau. Les masculinistes n'ont jamais combattu actrice, qui symbolisait au contraire la capacité des femmes à montrer leur corps en public en déclamant (le plus souvent) des textes d'hommes; |
Auteure?
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Il s'agit d'un néologisme québécois créé dans les années 1970-1980 par l'Office [québécois] de la Langue Française, pour répondre à l'agacement des femmes affublées du nom masculin. Sans doute ce terme a-t-il semblé plus consensuel qu'autrice, dans la mesure où l'on n'entend pas la différence avec le masculin. L'Office s'est bien gardé de proposer le choix alors que, contrairement à l'Académie française, il est composé de linguistes. Ce sont les études féministes sur la littérature des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles qui ont permis de l'exhumer.
Auteure n'est pas pour autant un «barbarisme», comme ont longtemps dit les académiciens. Les mots féminins en -eure ne sont pas légion en français, néanmoins il en existe (subst. supérieure, prieure…, adj. majeure, intérieure…). La plupart viennent de comparatifs ou superlatifs latins (terminés en -or), mais pas seulement. Les textes du Moyen Âge montrent que les lettrés de cette époque n'hésitaient pas à écrire possesseure, seigneure… mais aussi prieuresse, seigneuresse, preuves du désir de nos ancêtres de disposer de féminins qui s'entendent. Il convient de les suivre, et de conserver les mots en -eure pour les cas où il n'existe pas d'équivalent possible (notamment ingénieure, puisqu'ingénieuse est le féminin d'ingénieux). Dans le cas contraire, on multiplie les exceptions et donc les possibilités d'erreurs pour les personnes maîtrisant mal la langue ou n'étant pas «initiées» (les optiques démocratique et féministe sont liées). Dans la plupart des cas, il existe des mots très anciens incontestables morphologiquement. |
voir aussi
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• l'article d'Aurore Evain : «Histoire d'autrice, de l'époque latine à nos jours», 2008 pdf reparu en ouvrage, avec la pièce de Sarah Pèpe, Illes, sous le titre En compagnie (iXe, 2019) |
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Chevalière, officière
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Des mots employés sans problème jusqu'au XIXe siècle |
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Extrait du Gaulois, samedi 12 décembre 1896 («Les femmes décorées.»)
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Doctoresse
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Une lutte de 9 siècles ! |
grades universitaires : une chasse gardée masculine
** Cy commence le traittie intitule les evvangiles des quenoilles faittes a lonneur et exaucement des dames (première éd., 1484) |
Le mot doit dater de l’ancien français, où docteur (du latin docere, enseigner) signifie «homme savant, capable d’enseigner son savoir». Il fait peu de doute que des femmes savantes étaient en capacité d’enseigner leur savoir, notamment dans les monastères et certaines écoles de médecine. Le terme est porteur du suffixe esse, qui caractérise nombre de femmes prestigieuses (duchesse, emperesse, princesse…, voire prieuresse et seigneuresse). Docteur s’étant spécialisé dans le sens de «homme titulaire d’un doctorat» après la création des universités (XIIIe s.), dont les femmes étaient exclues, doctoresse a dû, dès cette époque, se charger d’un sens satirique d’autant que des procès ont été faits à des femmes exerçant la médecine sans diplôme (forcément). C’est avec cette connotation qu’il est employé dans Les évangiles des quenouilles (v.1465-1475), dont les héroïnes de pauvres fileuses se retrouvant à la veillée pour échanger des recettes “de bonnes femmes” sont dites les «sages doctoresses et premieres inventeresses» desdits évangiles. Une quinzaine d’éditions, entre 1484 et 1530, a assuré la diffusion du terme dans cette acception. Le mot semble ensuite s’être chargé d’un autre sens, avec l’accès au mariage des clercs; c’est alors l’épouse du docteur:
Rousseau l’utilise cependant dans un sens presque propre, quoique dans un contexte dépréciatif (et égalitaire, puisqu’il critique ainsi les deux sexes; nous dirions aujourd’hui «intellos») :
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Les luttes de la modernité
** Doctoresse. L'étudiante. Je serai surtout le médecin des femmes. Combien de jeunes filles ne se soignent que lorsqu'il est trop tard, par honte de se faire examiner par un homme. Venez à moi mes sœurs. Remarquer les messages destinés à faire “passer la pillule”: les médecines s'appelleront des médecins; elles ne soigneront pas des hommes; elles sont tolérables parce qu'utiles (ce que Réjane Sénac appelle L'égalité sous conditions) |
Au XIXe siècle, alors que les femmes s’imposent sur le marché du livre grâce à la législation sur les droits d’auteur établie pendant la Révolution, et que les hommes de lettres leur font une guerre acharnée (cf. les campagnes contre les «bas bleus»), quantité de vieux textes antiféministes sont remis sur le marché, dont les Évangiles des quenouilles, rééditées en 1829, puis quatre fois en 1855. C’est l’époque où les premières diplômées en médecine font leur apparition, aux USA (1849) la première Française y parvenant en 1875. Littré réserve une entrée à Doctoresse dans son Dictionnaire, terminé en 1865:
Le mot est également employé au sens propre pour d’autres disciplines, puisque les femmes y accèdent aux grades supérieurs, mais non en emploi absolu. Ainsi à propos du droit (la première diplômée de l’université de Paris est Sarmiza Bilcescu, en 1890).
Le Trésor de la Langue française, qui fournit cette citation, précise que le terme est cependant «condamné par certain grammairiens». À l’inverse, il est promu par des féministes, comme Léon Frapié, romancier des classes pauvres, qui s’engagea pour le vote des femmes:
De fait, seules les diplômées de médecine ont couramment porté ce titre, car elles étaient bien présentes dans la société (où l'on respecte les logiques du français) par l’intermédiaire des cabinets où elles exerçaient. Jusque dans les années 1960, elles sont nommées doctoresses par leurs patient·es, la presse, les fabricants de cartes postales destinées au grand public. Le terme est néanmoins rejeté par les plus hauts étages de la profession qui rejettent surtout les femmes qui l’incarnent, et qui continuent de bloquer leur accès aux fonctions hospitalières. Certaines femmes le rejettent également au profit du nom masculin, pensant que cette preuve d’allégeance facilitera leur acceptation:
Loin de s’offusquer de ces accrocs à la langue française, le Dictionnaire de l’Académie les accrédite dans l’édition de 1932-35, où le terme fait son entrée:
En revanche, 30 ans plus tard, le Grand Larousse encyclopédique illustré de 1962 témoigne de son acclimatation: «Doctoresse: femme docteur en médecine». Par la suite, l’emploi de ce terme a régressé, surtout dans les élites, sous une double pression: d’abord celle des femmes parvenant enfin à exercer à l’hôpital et se pliant à la norme masculiniste en vigueur dans ce milieu; ensuite celle de la dernière vague de masculinisation des titres féminins prestigieux, induite par l’accès des femmes aux fonctions politiques et à la magistrature (domaines monopolisés depuis des siècles par les hommes). |
aujourd'hui
** L'éducateur (revue suisse-romande) |
Le terme est toujours usité, en France et plus largement dans l'espace francophone, au sens de femme titulaire d'un doctorat de médecine. En juin 2019, une lutte a été initiée à l’Université de Lyon1 par des diplômées en mathématiques, pour que leur diplôme porte ce titre au lieu de celui de docteur. Elles ont reçu de nombreux soutiens, exprimés par une pétition dont voici un extrait:
Sur cette lutte, voir les Actualités |
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Ecrivaine
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Le mot est attesté depuis le XIVe siècle |
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** Pour les premières occurrences, ** ** |
Comme écrivain, ce mot a d'abord d'abord employé au sens artisanal.
Dans la première moitié du XVe siècle, on le trouve aussi au sens de «femme qui maîtrise la pratique de l'écrit (ou de l'écriture).
Après l'invention de l'imprimerie, et surtout après la création de la corporation des écrivains (1570), ce mot doit avoir disparu (avec les personnes qu'il désignait) au sens artisanal du terme. On le trouve alors (comme autrice), au sens de «personne écrivant des livres», jusque sous la plume des premiers académiciens:
Peu employé dans les siècles suivants, il est revenu en force à partir de la fin du XIXe siècle, et s'est vu copieusement moqué depuis… notamment par les académiciens et les journalistes, qui les suivent sans savoir pourquoi. La phrase souvent entendue depuis 30 ans «Dans le mot écrivaine, on entend vaine», semble revenir à Bertrand Poirot-Delpech, longtemps directeur du Monde des Livres et finalement académicien. On l'a encore entendue dans la bouche d'Eric Orsena lors de la journée de la francophonie 2016. A la question «Et dans écrivain, vous entendez quoi?», l'académicien a eu l'air surpris (cela ne fait que 30 ans qu'on la leur pose). Il a finalement répondu: «On l'entend moins». |
voir aussi
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• la déclaration de guerre de Frédéric Beigbeder, parue dans le numéro de Lire de février 2005: «Mon premier article réac» (pdf). Ce texte est aujourd'hui introuvable sur le Net malgré la publicité qui lui a été faite preuve que son auteur en a eu honte et l'a fait disparaître, ce qui est une excellente chose! • la riposte d'un groupe d'écrivaines francophones mené par Florence Montreynaud, parue dans Le Monde du 16 février 2005 : «Ecrivaines et fières de l'être». |
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Homme
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Pourquoi il faut lui préférer «humain» ou «être humain» |
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- parce que ce mot n'est pas l'équivalent de l'homo latin, qui voulait dire «être humain» (dans cette langue, le mâle humain se disait vir); dès le Moyen-Âge, il avait pris le sens de «mâle humain adulte» - c'est l'Académie française qui l'a défini comme signifiant «les deux sexes» dès son premier Dictionnaire (1694), en contradiction absolue avec les usages de son temps, dans le cadre de ses efforts pour accroitre toujours davantage la puissance du masculin. - les juristes ne l'ont jamais suivie, eux qui édictaient des lois donnant aux hommes des pouvoirs refusés aux femmes. En atteste la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui a défini des droits pour les seuls hommes (la liberté, l'égalité, le droit d'élire ses représentants, etc.) ce contre quoi les femmes ont immédiatement protesté:
- Ces femmes en colère ne faisaient aucun contresens. La Déclaration établissait des droits pour les hommes seuls, comme le montre ici son article 6. Les hommes y sont nommés citoyens, en conformité avec le système de la langue française, où le «masculin générique» n'a pas encore été inventé. L'article stipule qu'ils peuvent concourir à la formation de la loi, en élisant leurs représentants ou en étant élus; ils peuvent accéder à toutes les dignigés, places et emplois publics. L'article témoigne également de l'accaparement par le sexe masculin des notions désignant l'ensemble de l'espèce humaine (ici en gras)
- L'Ordonnance du 21 avril 1944, qui entendait ouvrir le droit de vote et d'éligibilité aux femmes, a dû spécifier que «les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes». La Constitution de 1946, qui entendait généraliser ce principe, a dû elle aussi le préciser: «La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme» (Préambule). - La majuscule censée faire la différence ne s'entend pas, et elle est bien souvent oubliée. C'est du reste un mythe récent: |
voir aussi
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• «Débat: “l’homme” ou “l’humain”? La trop longue chute d’une imposture», The Conversation, 8 janvier 2019 • «Remettre en cause les “droits de l'homme”, pour faire de l'égalité des sexes une réalité», Huffington Post, 28 mai 2016 version pdf • la campagne lancée par le Collectif Droits humains pour tout-es le 21 mai 2015, à la Mairie du 10e arrondissement de Paris et le discours prononcé à cette occasion: «Les freins au changement de l'expression “droits de l'homme”: le mensonge et ses promoteurs» (version pdf) • la campagne lancée par Zéromacho en avril 2015 le 2 avril 2015, à l'Assemblée nationale, et le discours prononcé à cette occasion: «“L'homme”: une construction politique et langagière des Lumières françaises» (version pdf) - les travaux d'Edwige Khaznadar, notamment Le Sexisme ordinaire du langage: qu’est l’homme en général? Paris, L’Harmattan, 2015. |
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Poétesse
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Un mot repoussé depuis le XVIIe siècle |
Voir l'article d'Anne Debrosse :
«Le mot poétesse dans les dictionnaires, ou la tentation de l'épicène (XVIe-XVIIe siècles)», RHR, 2014 pdf |
Y compris par les femmes, qui ne font là que reproduire la vieille condamnation des lettrés masculinistes. La raison de leur rage? Les femmes n'ont rien à faire sur leurs plates-bandes (les lettres, la parole publique, la création…). Poétesse est donc un cousin malheureux d'autrice, d'écrivaine, de compositrice, de philosophesse…
En témoigne, en 1842, Paul de Molènes, dans un article intitulé «Les femmes poètes» (Revue des Deux Mondes, 1842)
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Professeuse
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Un terme toujours usité dans le monde francophone |
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C'est l'un des mots qui s'acclimatèrent à partir du XVIIIe siècle, au fur et à mesure que cette profession devenait plus courante pour les femmes. Il demeure usité dans le monde francophone, quoique dans l'enseignement secondaire (les femmes du supérieur lui préférant professeure, lancé par les Québécoises dans les années 1980; mais admettre cette distinction reviendrait à accepter l'idée qu'il faut des mots spéciaux pour désigner les femmes exerçant des fonctions supérieures c'est la même chose pour chercheuse/chercheure. L'auteur cité ci-dessous on est en 1781 ne proteste pas contre l'emploi de ce terme, qu'il connaît bien, mais contre ses usages inappropriés (d'après lui): en l'occurrence, lorsqu'on désigne ainsi les épouses de professeurs. La remarque le conduit à évoquer d'autres mots attachés à des professions prestigieuses les épouses n'ayant pas, selon lui, à participer au prestige de leur mari! Et à rappeler l'étendue de la loi de la domination masculine sur ce terrain, qui va bien au-delà des noms de fonctions.
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